• Balkans, la croisée des cultures

      

    Nous sommes de retour sur le continent européen, par la péninsule balkanique. Nous faisons halte en Bulgarie et découvrons une region aux influences multiples. La Grèce Antique, l'Empire Romain d'Orient, l'Empire Ottoman, la Russie sovietique et maintenant l'Union Européenne ont successivement joué un rôle majeur dans cette région des Balkans. Entre intégration européenne, diffucultés économiques et gestion des minorités nationales, la Bulgarie se présente aujourd'hui sous les traits d'un pays encore en pleine mutation.


    Jeux musicaux - Cour de l'école de musique de Plovdiv

    Nous préparons notre étape bulgare dans la ville de Plovdiv, au Sud du pays. Nous y decouvrons une région souriante et résolument tournée vers la culture occidentale. Les montagnes sont bien présentes et nous n'avons que l'embarras du choix.

    Le pays est couvert par un réseau ferroviaire dense très bien implanté en zone rurale. Nous partons sur les traces d'un ami et photographe français, ayant realisé un reportage sur la Tsenolineika*.
    Le long de cette voie ferrée, à bord de notre petit train grinçant avançant cahin caha entre vallées et montagnes, nous pénétrons dans une campagne mystérieuse et contrastante. Notre wagon représente à lui seul la diversité de la population du Sud de la Bulgarie : femmes musulmanes voilées, familles roms au teint mat, jeunesse bulgarienne aux tenues modernes... Nous apercevons aussi des villages dominés par le clocher de l'église orthodoxe et le minaret. Dans cette region, musulmans et chretiens cohabitent depuis des siècles.
    La déprise agricole est saisissante : depuis l'effondrement du bloc soviétique et l'ouverture des frontières, les jeunes sont partis vivre à la ville ou travaillent à l'étranger. Nous descendons du train à Bansko, fleuron du tourisme hivernal bulgare, dans le but d'y louer des vélos et parcourir les villages alentours.

    La locomotive diesel s'arrete dans toutes les petites gares le long de cette voie ferrée d'une centaine de kilomètres (en 4h)

    *http://www.ulysselefebvre.com/reportages/tesnolineika

     

    PaysanNEs, les derniers témoins?

     

    Bansko est une station prospère, livrée aux projets immobliers en tout genre. Le petit village de montagne d'antan a bien perdu de son allure et s'est très fortement urbanisé.


    Bansko : arrivée en train et carillon de l'église.

    De ce camp de base ultra touristique, nous partons en vélo pour deux jours. Il suffit de pédaler quelques kilomètres pour retrouver une campagne plus paysanne. Entre les massifs du Pirin et des Rhodopies, sur la route menant à la Macedoine et à la Grèce, nous trouvons des villages pittoresques, souvent partiellement abandonnés. Les plus isolés presentent une impressionnante concentration de vieillards, derniers représentants d'une culture paysanne révolue! Les mamies, discutent sur les bancs publics, profitant des derniers rayons du soleil. Sur certaines portes, un gros noeud papillon annonçant la mort d'un des habitants de la maison, attend de tomber sous l'effet des assauts de la météo.


    Au village d'Osenovo, le lait boue sur un feu de bois, en pleine rue. Plus loin, les anciennes profitent du soleil d'automne.

    Plus beaucoup de jeunes, la vie du village paraît appartenir à ces grands mères. Qui prendra le relais?

    Dans le village de Filipovo, nous sommes attirés par des airs de musique. Nous posons nos bicyclettes devant le bistrot où 4 hommes jouent une musique puissante et envoûtante. C'est la musique traditionnelle, celle des Balkans, qu'on apprécie tant! Un homme nous invite à rentrer. C'est le policier du coin. A l'intérieur, nous vivons une courte mais inoubliable expérience : un concert quasi privé où les artistes sont fiers de nous jouer leurs airs préférés. Dès notre entrée, l'accordéoniste se présente : "je suis Dimitri et aujourd'hui c'est ma fête, la saint Dimitri". Il a réuni trois autres de ses amis et les régale de sons partagés, de vin et de soupe au mouton! Dimitri connaît Grenoble pour ses JO et se souvient parfaitement de l'exploit de Jean-Claude Killy! Il nous offre de son vin et reprend sa musique endiablée. Le policier nous offre un bol de soupe et s'exclame : "Dimitri est chrétien, tout comme le percussioniste et le joueur de cornemuse qui sont roms, le clarinettiste est musulman. Tout le monde est ami!" A voir leur complicité et leur joie de vivre ensemble ce moment de musique, nous n'en doutons pas. Assis autour de la table, les musiciens se lèvent et poursuivent debout, dansant et poussant leurs instruments jusqu'a donner des frissons.

    Le groupe joue pour la Saint Dimitri, la fièvre s'empare de la petite scène du troquet!


    Troquet musique 1


    Troquet musique 2


    Troquet musique 3


    Troquet musique 4

    Nous reprenons la route pour le village de Kremen quelques 400 mètres plus haut (en dénivelé!). Le vin de Dimitri nous a un peu cassé les pattes et c'est avec soulagement que nous parvenons au village. A l'improviste car nous n'avons aucun lieu où dormir. Notre première rencontre est infructueuse : "savez vous où l'on peut dormir?" "Plus loin dans la montagne, à une heure de vélo..." nous répond un vieil homme tout en nous donnant des pommes. Nous poursuivons un peu plus loin et croisons 3 vieilles dames profitant du soleil. "Ici", nous répond l'une d'elle en faisant non de la tête (ici, l'affirmative et la négative c'est tout l'inverse de chez nous) et nous montrant sa maison. Et voilà, en Bulgarie, c'est aussi simple que ça!

    Liuba nous fait rentrer dans la cour de ferme où nous posons nos vélos. En l'échange d'un modeste loyer pour la nuit, elle nous offre le dîner, le couchage et le petit dejeuner. Nous sommes ravis de faire la connaissance de cette paysanne. L'archétype orthodoxe des campagnes de Bulgarie : fichu sur la tête et tenue traditionnelle. Sa maison n'a probablement pas bougé depuis plusieurs dizaines d'années. Nous nous imaginons que les maisons paysannes françaises devaient ressembler à ça juste après guerre. 
    Liuba, du haut de ses 84 ans, occupe seule sa maison. Au rez de chausse, dans la pièce de vie, sa cuisinière au bois et son lit se font face. Sur les murs, deux icônes de Jésus et Marie ainsi qu'une représentation de la Cène donnent une profonde ambiance de ferveur religieuse. Les 3 chambres de l'étage sont simples. Aujourd'hui, deux d'entre elles servent au stockage des fruits et legumes (beaucoup de poivrons et tomates). Nous dormons dans la troisième. Lits de camps en ferraille, un poêle, des murs blanchis à la chaux, une croix, et une petite icône de Marie feront très bien l'affaire.
    Nous faisons la connaissance de Nasco, son neveu, qui habite la maison en face et avec qui elle partage sa cour.
    Contre le mur de la maison, un drapeau, soleil aux rayons vigoureux sur fond rouge. Nasco nous apprend qu'il s agit du drapeau macédonien. Juste au dessus, une photo d'une statut d'Alexandre le Grand. Il nous explique que le village de Kremen est macédonien, tout en se plaignant que la Bulgarie ne le reconnaît pas. Nous sommes rattrapés par la complexité des questions identitaires des Balkans. Une région où les frontières ont bien du mal à trouver une légitimité aux yeux des minorités.
    Tout en aidant à la préparation du repas, nous en apprenons plus sur la petite ferme de Liuba. Elle possède trois chèvres blanches qui reviennent tous les soirs au village et un potager. Nasco habite la plupart du temps dans une ville proche. Il nous fait goûter la gnole locale qu'il fabrique lui-même, à partir de raisin : la rakia. 60 degrés! Il fait aussi son vin. Ses vignes sont constituées de Cabernet et de Merlot nous déclare-t-il fièrement.

    Liuba chérit ses trois chèvres avec des fruits et des légumes mélangés à de la farine

    Après un délicieux repas à base de patates et tomates du jardin, Liuba nous montre sa cueillette de l'été. Pas loin d'une dizaine de plantes différentes, qu'elle appelle thé, ainsi que des baies. Parmi ces plantes, la Sideritis, dont nous avons retrouvé le nom scientifique après recherche. Nous l'avons observé à plusieurs reprises sur des étales de marché. Très populaire dans tout le Sud des Balkans, elle est reconnue pour ses multiples vertus thérapeutiques. Les recherches scientifiques actuelles lui ont découvert de nouvelles propriétés, notamment pour lutter contre la maladie d'Alzheimer.

    La cueillette de l'été a été fructueuse. Toutes les plantes sont conditionnées au sec et à l'abri de la lumière pour leur garantir une bonne conservation.

    Le lendemain matin, un delicieux petit déjeuner nous attend. Un pain moitié gâteau et le fameux thé local! Apres nous avoir offert plantes de montagne et chaussettes confectionnées par ses soins, Liuba nous dit au revoir. Elle part surveiller les chèvres avec sa soeur. Tandis qu'elle sert fortement Perrine dans ses bras, elle me salue en me baisant la main droite. Nasco nous emmène visiter le village. Nous faisons halte à la petite épicerie locale. On y trouve de quoi se dépanner quand le frigot est vide et la ferme ne suffit plus. L'épicerie fait aussi office de bistrot. Nasco est déjà saoul. Comme de nombreux hommes de son âge du village, il a une certaine faiblesse pour la bouteille. Nous avons du mal à mener une conversation et sommes attristés par ce fléau. 

    Nous réenfourchons nos vélos en fin de matinée. Liuba reste pour nous l'emblême de la Bulgarie : comme toute ces vieilles femmes, elles semblent être les dernières gardiennes de ces petits villages et savent garder le sourire et la foi malgré un environnement social qui semble bien degradé!

    Fabien

     

    Le vin de Melnik

     

    Les jours suivants, face à la pluie persistante, nous décidons de faire une étape vinologique à Melnik. Au pied du massif de Pirin, Melnik est un village reputé pour son vin, sa riche histoire et son cadre.

    Orage à Melnik.

    Nous sommes quelque peu déçus en découvrant l'endroit. Le village ressemble plus à un grand complexe hôtelier qu'à un petit village viticole. Trop touristique à notre goût! Le temps toujours aussi menaçant, nous en profitons pour visiter une cave et tester le vin local dont la reputation n'est plus à faire en Bulgarie.
    Au hasard, nous poussons la porte de la famille Manolev . Atanas nous accueille dans sa cave, creusée il y a 250 ans. Il nous fait goûter son vin et nous en explique un peu plus sur sa fabrication.
    Au coeur d'un domaine de 6 hectares, sur les contreforts du massif de Pirin, les vignes en cépage local majoritairement (appelé Melnik) produisent du vin rouge et blanc. 15 000 litres de vin naturel sont produits chaque année. "Pas de chimie, ni dans les vignes ni pour la conception du vin (pas de sulfites)"! s'exclame Atanas. "Le vin est vendu jeune et ne se conserve pas! Tout au plus 2 semaines à un mois suivant la saison, une fois mis en bouteille!"
    C'est donc le vin de l'année que nous goûtons.
    Le vin rouge, sec, tout d'abord, qui se distingue du vin demi-sec par sa fermentation totale qui donne un vin plus alcoolisé. Le demi-sec, dont la fermentation est arrêté précocément, ressemble beaucoup plus à un jus de fruit. Le vin est vendu sur place aux touristes.
    Les vendanges, qui ont lieu de fin septembre à début octobre sont réalisées par un cercle restreint de proches. Ainsi, Atanas nous explique que c'est une petite entreprise à taille familiale.
    Il poursuit : "Le retour à la viticulture traditionnelle a commencé après les réformes de 1989, lorsque les vignes ont ete restituées à leurs propriétaires. L'entreprise familiale a été fondée en 1993." 


    Rakia! Tradition bulgare.

    Dégustation de vin de Melnik, conservé dans des fûts de chêne et de chataignier.


    Berger, sur les hauteurs de Melnik.

    Fabien

     

    Conservation de races locales

     

    Notre dernière étape paysanne bulgare se situe à Vlahi où se trouve le centre d'élevage de l'association BBPS Semperviva (Bulgarian Biodiversity Preservation Society Semperviva) qui tente de sauvegarder plusieurs races domestiques rares, notamment les chiens Karakachan, les moutons Karakachan, les chevaux Karakachan et les chèvres Kalofer. C'était à l'origine un village de Valaques (d'où le nom Vlahi), des nomades bergers présents dans toute l'Europe de l'Est. Village de contestataires du régime, il a été isolé et s'est vidé durant la période "communiste". Aujourd'hui, c'est un village relativement vide avec quelques résidences secondaires, et il accueille également certaines associations, dont BBPS Semperviva, qui permet le maintien d'un troupeau de chèvres, d'un troupeau de moutons, d'une vingtaine de chiens et d'une harde de chevaux.

    Nous avons seulement pu discuter avec un berger, car le gérant n'etait pas sur la ferme lors de notre passage. Autour d'un verre de rakia, de fromage de chèvre et de gras de porc, il se dit heureux d'être employé ici car son salaire est deux fois plus elevé que la moyenne, et il est logé et nourri. Lors de notre passage, une des chèvres malade a été dépecée pour nourrir les chiens, mais aussi l'ours et les deux loups, gérés par l'association d'éducation aux grands carnivores nommée Balkani.


    Dépeçage de la chèvre.


    C'est l'heure du déjeuner, de la chèvre pour le loup et des pommes pour l'ours.

    Pas grand chose à voir avec la tradition et la culture bulgare. A ce propos, le manque de troupeaux dans la région se traduit par l'embrousaillement généralisé des prairies et rend plus difficile encore le maintien d'une activité d'élevage.

    "L'homme à tout faire" de la ferme dépèce et vide la chèvre.

    Nous repartons après cette visite éclair, sous la pluie, pour rejoindre la capitale de la Bulgarie, puis celle de Roumanie le lendemain, en train.

    Perrine


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