• Les Kirghizes, cavaliers paysans

     

    Nous voilà arrivés à la première étape de notre voyage : le Kirghizstan. Avec une moyenne altitudinale de 2750 mètres d’altitude, les montagnes sont partout présentes. Pâturages, glaciers, steppes et lacs composent le paysage kirghize. Anciens éleveurs nomades sédentarisés par les soviétiques, les Kirghizes sont encore majoritairement paysans. A la campagne, tout le monde ou presque possède des bêtes. Il s’agit en premier lieu d’une agriculture vivrière. L’été, les agriculteurs montent au jailoo (alpage) et prennent en pension les animaux des membres de la famille. C’est là haut, en haute montagne, qu’ils retrouvent la maison traditionnelle kirghize, autrefois utilisée toute l’année : la yourte.

    A moins d'une heure de route de Bichkek, l'Alatau Kirghiz se déploie jusqu'à une altitude de 4800 mètres, des verts pâturages et profondes forêts de résineux aux glaciers scintillants.

    Les troupeaux sont essentiellement composés de brebis pour la viande, de vaches laitières et de chevaux élevés pour le lait ou la viande. Dans les plus haute vallées, les yacks remplacent les brebis et les vaches. Les Kirghizes sont tous cavaliers dès leur plus jeune âge. Un homme kirghize doit savoir monter a cheval. C’est le moyen de déplacement par excellence, après la voiture bien sûr.


    Le long de la M41, cordon ombilical du Kirghizstan, permettant de relier le Nord et le Sud du pays, les paysages grandioses s'animent au Printemps de multiples troupeaux de brebis ou chevaux transhumant.

    Fabien

     

    Immersion kirghize

     

    Sitôt arrivés a Bishkek, Simon, ami et hôte français qui réalise ici un stage étudiant, nous invite a prendre part à une expédition dans le Sud Ouest du pays. Son maître de stage ainsi que deux journalistes kirghizes tournent un documentaire sur la vie paysanne et les traditions. Que demander de plus!

    En voiture pour le Sud, nous découvrons les immenses montagnes et les hauts cols routiers qui permettent de relier les vallées entre elles.


    Dans la voiture, le paysage défile au son des tubes russes!

    Parcourir 300 km relève ici véritablement de l’expédition : hormis les grands axes qui font l’objet d’entretien minimum, les routes, parsemées de nids de poules, sont parcourus par des chauffards (souvent des taxis) et des troupeaux qui traversent sans crier gare. Ajoutés a cela, les caprices de la météo montagnarde : vous ne savez jamais ce qui vous attendra sur votre chemin. Il fait 30°c a Bishkek et deux heures de route plus tard, vous pouvez rouler sous la neige, a 3500 m d’altitude.
    La sécurité est un mot inconnu, pour cela on s'en réfère à la providence : « la première ceinture c’est Dieu » comme nous dira un de nos chauffeurs.

    Mais revenons à nos moutons, nos premières étapes paysannes seront consacrées a l’artisanat. Nous rencontrons ainsi une mère et sa fille couturière et brodeuse. Elles confectionnent, des tapis de feutre, des coussins, des habits d'une grande finesse, aux motifs sobres et aux couleurs vives.
    Plus tard, c’est un paysan qui nous explique comment fabriquer un Komouz, la guitare traditionnelle kirghize à trois cordes. Au milieu de sa cour, trois peaux de renard sont en train de sécher. Ses deux Taihan, de grands chiens ressemblant à des lévriers afghans, l’ont aidé dans sa chasse.


    Le paysan nous présente la technique de fabrication d'un Komouz avant de faire vibrer son instrument accompagné d'un chant qui parle d'amour.


    La yourte, symbole du mode de vie ancestral des Kirghiz, aujourd'hui encore utilisée par certaines familles pendant la période d'estive.

    Le soir, nous mettons le cap sur la vallée perchée du Tchatkal, accessible par deux cols de haute altitude dont l’un n’est ouvert que trois mois par an. Pas de route, mais une piste de montagne plus ou moins défoncée, parcourant d’abord une profonde gorge avant de s’élever  et de longer d’épais névés de neige. La Lada break qui nous sert de véhicule est la plus adaptée a ce genre de déplacement. Notre chauffeur, Rassul, l’a achetée en 1991. Il bichonne sa voiture et l’a même améliorée d'un volant moumoute, d’un aileron, de phares bleus et d’une sono suffisamment puissante pour couvrir les bruits du moteur et des amortisseurs. La voiture de montagne au Kirghizstan…

    Nous roulons depuis une heure à peine qu’un pneu crève. Le cric ne marchant plus, il nous faut soulever la voiture pour pouvoir réparer. Nous faisons halte au village suivant, afin de racheter une nouvelle roue de secours. La nuit tombe. Plus loin, la pente s’accentue et rapidement il faut arrêter le véhicule dont le moteur chauffe dangereusement. Nous remplissons des bouteilles d’eau dans le torrent en crue en guise de liquide de refroidissement. Bien sûr, il faudra répéter l’opération 4 ou 5 fois avant d’arriver au col. Le dernier refroidissement se fera à la neige, le torrent étant trop éloigné.

    Kirghizstan
    La route, ou plutôt la piste qui permet de rejoindre la vallée du Tchatkal, met à rude épreuve les véhicules.
     

    Après 5h00 de piste, nous arrivons à la maison de Khan qui sera notre hôte pour les deux jours suivants.
    A 2h00 du matin, nous sommes accueillis par des montagnes de pâtisseries, de pain, de biscuits et de bonbons étalés sur la nappe, à même le sol de la pièce qui permet d’accueillir les voyageurs. Des petites coupelles remplies de miel, confiture, beurre et sucre permettent d’agrémenter le thé et le pain.
    C’est ainsi que nous sommes accueillis à chaque passage dans une maison. Le thé coule à flot et dès que votre tasse est vide, on s’empresse de la reremplir en vous disant « Tchaï ».

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Laissez moi tranquille!

     

     

    Apres une petite nuit bien méritée, la matinée commence par la visite du moulin du village, fonctionnant à l’énergie hydraulique.


    Un canal mène l'eau jusqu'à la roue à aubes qui permet d'entraîner la meule.

    Elle s’enchaine rapidement par une petite session folklore, organisée pour nos deux amis journalistes. Les femmes et les hommes se sont habillés de leur plus belle tenue traditionnelle et se sont rassemblés dans une yourte dans laquelle pendent des tapis de feutre colorés, des peaux de loup et une d’ours.


    Dans la yourte, Simon se demande ce que mangent les femmes... Eclats de rire : il s'agit de tabac à chiquer!

     
    La yourte a été spécialement montée pour l'occasion. Les femmes, fières dans leur costume traditionnel, posent et racontent la vie au Tchatkal.

    Dehors, les hommes prouvent chacun à leur tour leur talent de cavalier. La matinée se clôture par un grand rassemblement. Hommes et femmes chantent chacun à leur tour.


    Chants Kirghiz

    Certains se lancent dans la récitation de l’épopée de Manas, une légende collective monumentale, issue de la tradition orale du peuple kirghize. 


    Un vieil homme puis un jeune clament l'épopée de Manas.

    Les kirghizes adorent chanter et chantent bien. Tout évènement festif est prétexte à pousser la chansonnette. Nous aurons l’occasion de le constater par la suite : on nous demandera souvent de chanter : l’angoisse quand on a la voix fausse et que l’on ne connait qu’un refrain de Brassens et une chanson paillarde…

    Le midi, un festin nous attend. Le Beshbarmak, (littéralement cinq doigts car on le mange avec la main) est un plat de fête composé de larges nouilles plates recouvertes de viande d’agneau cuite dans un bouillon.

    Le ventre bien rempli, nous partons en montagne pour fêter cette belle journée. Dans un cadre grandiose, nos hôtes kirghizes dressent sur une nappe disposée à même le sol, un goûter gargantuesque : mouton, gras de mouton, pain et bouteilles de vodka. Nous sommes ici leurs invités et rapidement les toasts de vodka sont portés à notre honneur. « A l’amitié franco kirghize ». « Aux français que nous remercions d’être venus nous voir »... Nous ne pouvons y échapper : avec Simon, nous enchainons les verres de vodka, cul sec comme le veut la tradition. Les femmes nous accompagnent aussi. Après quoi on nous invite tout naturellement à prendre un cheval pour faire une virée dans la montagne. 

    KirghizstanC'est l'heure du goûter : viande et gras de mouton accompagnés de quelques centaines de grammes de vodka.


    A la tombée du jour, c'est l'heure de traire les vaches.

    Le soir, on nous sert le bouillon de cuisson du mouton. C’est la dose de gras de trop pour Perrine, qui en sera malade durant la nuit et le lendemain. Les Kirghizes ayant un petit faible pour la vodka, on repart sur une série de toasts tous plus cérémonieux les uns que les autres, chacun voulant s’exprimer et offrir sa tournée. Le lendemain matin, c'est déjà le départ. Le petit déjeuner est copieux et gras. On nous sert le traditionnel plov, à base de riz, de légumes et de viande de mouton.

    Avant de monter dans la voiture, un jeune homme offre un bouquet de tulipes à Perrine. ça n’est pas la première fois et ça n’est pas forcement une manière de faire la cour, mais plutôt un signe de galanterie. Les hommes de tout âge offrent régulièrement des fleurs aux jeunes femmes. Ainsi, Perrine prendra l’habitude de recevoir régulièrement un bouquet, cueilli au jardin ou dans la montagne.

    Au retour, nous repassons devant une mine d'or, aperçue à l'aller. L'or est l'une des plus importantes richesses du Kirghizstan mais aussi l'une des plus grandes menaces pour son environnement. Dans la vallée du Tchatkal, certains parlent d'une véritable catastrophe écologique et sanitaire.

    Fabien

     

    Saparbek le berger

     

    Les bergers surveillent à cheval les troupeaux de mouton.

    Le 5 juin, nous partons pour le lac d’Issyk Kul en fin de journée, après avoir passé la journée à tenter de finaliser les démarches pour nos visas iraniens. Nous arrivons de nuit dans un petit village paisible sans aucune lumière, où nous peinons à trouver l’hôte que nous avons contacté un peu plus tôt. Finalement, Bartegule nous attendait de pied ferme, et nous nous écroulons après un thé et quelques morceaux de pain. En se levant, c’est la surprise : une immensité  bleue, surplombée de géants aux sommets blanchis.


    Ambiance maritime sur les plages du Lac Issyk Kul

     


    Le lac Issyk Kul, la mer au Kirghizstan, deuxième plus grand lac de montagne du monde.

    Nous demandons à la famille chez qui nous logeons s'ils ont des animaux, car nous avons remarqué qu’il est rare de ne pas avoir quelques bêtes, dès que l’on s’éloigne de la ville. En effet, mais elles sont à l’alpage, au « Jaïloo» de Tamché. Nous pensons tout de suite à la même chose avec Fabien, et si nous allions rendre visite à ces moutons gardés par un berger ? Nous sautons dans une jeep, car la montagne se trouve à une bonne heure de piste du bord du lac, et notre chauffeur nous dépose à un croisement, et nous montrant du doigt la piste qui monte à l’alpage.

    C’est parti, malgré le ciel menaçant, nous nous harnachons de nos sacs lourds de vivres pour trois jours d’autonomie. Les coups de tonnerre à répétition et les quelques gouttes nous font hésiter, mais trop tard, le véhicule est déjà loin, et de toutes façon nous sommes en route. La grêle n’a pas eu raison de notre motivation, à l’abri de maigres arbustes, nous attendons… puis tout se calme, l’orage s’éloigne, nous repartons. Un chant lointain nous fait nous retourner dans la montée, c’est Saparbek, un des six bergers de l’alpage de Tamché. Nous comprenons qu’il monte au jaïloo, et même qu’il y habite. Il nous fait signe de venir boire le thé chez lui.

    KirghizstanPâturage serré sur l'herbe rase de l'alpage de Tamché.

    Nous découvrons au col de nombreux troupeaux : moutons, vaches, chevaux. Au milieu, une petite maison qui ne paye pas de mine. Nous nous y retrouverons plusieurs fois pour boire le thé, déguster du yaourt et du beurre frais sur du pain cuit au four par la femme de Saparbek, qui alimente régulièrement le foyer avec des déjections séchées. Leurs deux filles sont très timides, et la plus jeune se met à pleurer face à nos deux têtes blanches qui la dévisagent en faisant des coucous de la main. Très vite, la curiosité prend le dessus.


    La maison d'été de Saparbek et sa famille. De part et d'autre, le parc de nuit des brebis et le stockage des déjections, combustibles pour le chauffage et la cuisine.

    Ces échanges sont riches. Avec nos quelques mots appris sur le tas et notre guide de conversation franco russe, nous pouvons poser des questions un peu plus précises sur le fonctionnement de l’alpage, le nombre de bêtes, l’organisation de la saison… Le loup est très présent. Le berger s’enquiert de nous montrer son fusil, il le porte souvent sur l’épaule. La journée est rythmée par la garde serrée de 600 moutons car plusieurs troupeaux se partagent ce qui nous semble être que peu de ressources fourragères. Saparbek est toujours à l’affut, et les bols de thés sont entrecoupés de regards vers l’extérieur par la petite porte. Quand la masse mouvante de points blancs noirs et bruns s’éloigne trop, ce sont des cris aigus, puis un sot sur le cheval suivi de très près par le chien roux, pour empêcher les troupeaux de se mélanger.


    Chez Saparbek...

     KirghizstanA peine arrivés, et la table se couvre de produits laitiers en tout genre et de pain. 

    Une marche sur les hauteurs de l’alpage nous amène tout près des glaciers, l’ambiance change radicalement, et les masses de glace nous impressionnent. Nous n’imaginons pas vraiment les troupeaux dans ce paysage, du moins, pas aussi tôt dans la saison. Pourtant, nous sommes vite désavoués en voyant au loin les moutons qui montent à une vitesse impressionnante, toujours plus haut. Puis on distingue vaches et chevaux qui se partagent un petit lac. Tout l’alpage est utilisé, dans ses moindres recoins.


    Balade sur l'alpage

     KirghizstanSur les hauteurs de l'alpage de Tamché, les troupeaux viennent pâturer jusqu'au pied des glaciers. Derrière la ligne de crête, le Kazakhstan.

    Perrine

     

    Transhumance chez Nurgul et Taltchik

     

    Nous poursuivons notre voyage plus à l’Est, toujours en bordure du lac. Nous arrivons à Karakol, rejoint par Simon qui a contacté une famille d’éleveurs qui montent à l’alpage en début de semaine. C’est aussi l’occasion pour nous de visiter cette exploitation de montagne particulièrement novatrice, car depuis 2009 et la visite de Marlène Galletti, les 50 litres de lait sont transformés quotidiennement en fromage à pâte pressée cuite sur l’alpage. Nous avons connu cette initiative lors du Festival du Film «  Pastoralisme et Grands Espaces », avec un des films primé « Raclette Kirghiz ».  C’est aussi ce jour là que nous avons rencontré Simon, que nous avons retrouvé au Kirghizstan près de deux ans plus tard.

    La ferme de Saruu, avant la montée à l'alpage

    La ferme se trouve à Saruu. Les grands bâtiments en long font immédiatement penser à l’époque soviétique. En effet, l’ancien Sovkhoz n’est plus utilisé que sur une petite partie pour loger les animaux. Les 500 moutons, une quinzaine de vaches et une trentaine de chevaux.


    Beaucoup d'animation en fin de journée, à la ferme : retour des brebis et préparation du four pour la cuisson du pain.

    A l’entrée, un petit four, et plusieurs tas méthodiquement agencés de déjections animales séchées sous la forme de petites briques. Une cour, dans laquelle défile un nombre incroyable de personnes, des frères, des oncles, des sœurs, des filles… nous avons du mal à cerner le nombre de personnes vivant dans ce lieu. Finalement, la ferme ressemble plus à un petit village toujours en ébullition, avec des enfants à dos d’âne ou de cheval, et le va et vient quotidien des troupeaux.

    Après le déjeuner, tout le monde se repose à l'ombre de la maison. La guimbarde, appelé "oz kroumouz" ici, rappelle des souvenirs d'enfance aux plus anciens.

    L’herbe est rase, le climat plutôt sec. Pourtant, en un seul coup d’œil vers l’Est, nous pensons immédiatement à « nos montagnes », les Alpes. Conifères, prairies vert tendre, nuages accrochés aux hauts sommets. C’est là bas que nous irons lundi. En attendant, il faut préparer le troupeau. Nous assistons au traitement sanitaire de quelques 6000 moutons qui passent un à un dans un bain. Les fumées des produits chauffés dans de grosses cuves nous piquent la gorge. C’est l’effervescence générale en ce moment particulièrement important pour les éleveurs, qui marque le début de l’estive. Plus tard dans la matinée, c’est le tour du troupeau de Taltchic. Le père de famille, carré de visage et d’épaules, se place à l’entrée de la baignoire, une fourche à la main pour immerger totalement les moutons et les chèvres les plus réticents… ils bêlent, se débâtent, certains boivent la tasse de ce produit chaud, puis ressortent et s’ébrouent, c’est la fin du calvaire. Une voiture débarque, dans son coffre, des bouteilles de vodka rangées en file indienne et Joe Dassin en fond sonore, c’est la pause bien méritée. Les troupeaux se dispersent et les cuves seront remplies pour la même opération le lendemain, alors que nous préparerons tout le matériel pour monter à l’alpage.


    Les bains avec Joe Dassin

     KirghizstanTraitement sanitaire avant la montée à l'alpage. Scéance sportive récompensée par des rasades de vodka pour les uns et l'herbe tendre des alpages pour les autres.

    Les vaches et les montons partent à l’aube, nous partirons plus tard, une fois le gros camion chargé des yourtes et du matériel pour les 4 mois à 2500 m d’altitude.  2 chiens, un veau et un agneau ne pouvant pas faire le trajet à pattes nous accompagnent à l’arrière du camion pour deux heures de trajet cahotant à travers les montagnes. Le spectacle est grandiose, les glaciers surplombent des pentes très raides, ça nous donne envie d’en voir plus. Puis nous arrivons sur l’emplacement du campement, en bordure du torrent qui serpente dans la vallée. Nous sommes sur l'alpage de Joku. 


    Transhumance à camion soviétique

     20 ans après, le camion soviétique est toujours utilisé car increvable et passe partout. 

    Plusieurs personnes arrivent à cheval pour nous aider à monter la plus grande yourte. La petite sera montée le lendemain, pour la fabrication du fromage.


    A peine arrivés, il faut constituer des réserves de bois pour la cuisine, la transformation du fromage et accessoirement le chauffage...

     KirghizstanCrépuscule sur la yourte qui héberge la famille de Taltchik.

    Contrairement à l’alpage de Tamché, le bois en abondance permet d’alimenter le petit poêle à l’intérieur, et le feu qui sert de cuisine à l’extérieur. Nuruzbek, le fils de 13 ans est très autonome, et c’est lui qui s’occupe de la traite matin et soir avec sa mère. Les vaches restent à proximité du campement et la traite des sept vaches est l’occasion pour elles de retrouver leurs veaux, sans lesquels il est impossible de leur prendre le lait.


    Traite au petit matin.

    C’est aussi Nuruzbek qui nous amène plus haut sur l’alpage à la recherche du troupeau d’une trentaine de chevaux. Ils constituent une caisse d’épargne que l’on vend en cas de coup dur, principalement pour leur viande.


    Rassemblement de la harde de chevaux par Nuruzbek.

    Les montons sont surveillées de loin par un berger timide dont il est impossible de donner l’âge. Dans quelques jours, le troupeau changera de quartier pour aller manger l’herbe plus haut sur l’alpage, où un petit campement provisoire sera aménagé par le berger pour y rester toute la durée de l’estive.

    Cuisine au feu de bois aux abords de la yourte. Le samovar n'est jamais bien loin et fume toujours.

    Les repas nous permettent de poser des questions sur le fonctionnement de l’exploitation, de la différence de travail entre l’hiver et l’été, de la gestion des troupeaux. Simon nous sert d’interprète, et nous le sollicitions beaucoup pour répondre à nos interrogations. Nurgul, la mère de famille, petite et vive, tient les comptes, sert de thé toujours avec le sourire. Elle et Talchick s’intéressent à nous, à ma famille qui a aussi une exploitation agricole. Ils aimeraient apprendre à faire des yaourts, et sont étonnés des prix pratiqués en France, notamment en matière de fromage. Ils nous questionnent sur les races, sur les alpages en France.

    Notre dernier jour au jaïloo nous fait découvrir que la famille a été sollicitée par une association pour, à son tour, former un groupe de femme à la fabrication de raclette. Elles débarquent dans la matinée à bord d’un gros bus tout terrain, toutes avec leur cahier et leur stylo pour prendre des notes.


    Dans la petite yourte qui sert de fromagerie, l'eau utilisée est bouillie pour des questions d'hygiène. Ambiance studieuse pour cette formation!

    C’est l’occasion pour Taltchik de tuer un mouton, et de me demander si on fait comme ça aussi chez nous. Une fois la transformation terminée et les cinq fromages moulés, le ciel se couvre et l’orage éclate. Nous nous retrouvons tous dans la grande yourte, assis en tailleurs ou sur les genoux pour prendre le moins de place possible. Au centre sur une grande nappe seront étalés biscuits, bonbons, miel, confiture, beure liquide. Les voix s’élèvent, d’abord timides, pour une série de chants traditionnels, tous aussi émouvants les uns que les autres. Dans la chaleur de la yourte en feutre, le feu crépite, l’odeur de la fumée fait place à celle du mouton cuit à l’eau.


    Après le repas, la chanson.

     KirghizstanNurgul travaille sans relâche. Traite, fabrication du fromage, cuisine, logistique de l'alpage, service du thé...  

    Les invitées reparties, nous nous retrouvons en petit comité dans la yourte pour un dernier thé… et un verre de vodka. Je refuse d’abord, mais le visage insistant de Taltchik me fait rapidement accepter de prendre le liquide incolore, que je tente d’ingurgiter en une seule fois… Le visage amusé des trois enfants qui me regardent  me fait prendre conscience de la grimace que j’ai fait en avalant l’alcool.Nous sortons enfin, les pommettes chaudes, et le torrent gonflé par la pluie nous invite à une partie de pêche, sans trop de succès.


    Croisé sur l'alpage, un ancien à la mine malicieuse, bon vivant et blagueur, fait rire les enfants et les plus grands... Il nous explique que Manas mangeait à chaque repas un cheval à lui tout seul et qu'il buvait des litres de koumis (lait fermenté de cheval). Un tel appétit, ça fait du bruit...

    Les nuages filtrent les derniers rayons roses du soleil, le spectacle est prenant. Nous allons nous coucher pour une dernière bonne nuit dans notre petite tente qui intrigue tant nos hôtes.


    Nous rentrons à Bishkek pour le week-end, la tête pleine d’images, de sons et d’odeurs de montagne. C’est la fin de la première étape de notre voyage, et nous nous préparons déjà pour la suite, le Tadjikistan : les montagnes du Pamir.


    A Bishkek, balade dans l'immense bazar d'Och. D'abord à l'extérieur où l'on vend toutes sortes de choses puis l'immense hall des bouchers.

     

    Perrine

     


    Cuisine intégrée kirghiz, chez Taltchik. Au dessus du foyer principal, à droite, le kazan, sorte de gros wok en fonte qui sert notamment à la réalisation du plov. 

     

     
    Nous dormons deux nuits chez Alik, vétérinaire au chômage. Sa famille vit du salaire de sa femme partie travaillée à Moscou, et de la production de la ferme (quelques vaches, des poules et un potager). 


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  • De Chambéry à Moscou, voyage dans l'Histoire

     

    Chambéry, Place Métropôle, à l'aube de la braderie de Printemps. C'est ici que nous établissons notre étalage de bric et de broc dont la vente servira au financement du voyage. 

    15 mai : en route pour l’Asie Centrale, via Moscou où nous profiterons d’une halte de 3 jours. Nous partons de Curienne l’esprit léger, après 6 mois de préparation intense.

    Le train au départ de Chambéry nous emmène d’abord a Berlin où nous faisons une étape nocturne de quelques heures qui nous permet de visiter la ville. Sacs a dos solidement harnachés, nous partons à la découverte des monuments historiques de la capitale de l’Allemagne réunifiée. Les 6 heures de pause passent à toute vitesse. Cette ville est un véritable musée à ciel ouvert qui nous ramène aux épisodes les plus sombres de histoire du siècle qui nous a vu naître. Berlin a subi les pires régimes autoritaires : nazisme puis communisme. Aujourd’hui, elle semble mettre un point d’honneur à accomplir un devoir de memoire pour que ces tristes épisodes ne se répètent jamais. Mémoriaux, musées, monuments restaurés, vestige du Mur qui a divisé l’Europe pendant plus de trente ans… Nous parcourons le centre ville les yeux grands ouverts, en nous rappelant nos cours d'histoire. Tout cela parait incroyable.
    Depuis 1989, Berlin revit. Le chantier de reconstruction qui a suivi la chute du mur semble terminé. Il s’agit maintenant d’une ville qui brille, flamboyante, à l'architecture avant-gardiste, résolument tournée vers l'avenir.

    Nous reprenons notre chemin au petit matin, dans la gare flambant neuve Hauptbahnhof qui contraste avec le train russe qui nous emmène à Moscou. La montée en voiture est saisissante : nous changeons immédiatement d’ambiance. Finis les trains modernes filant à toute allure, notre véhicule est décoré de tapis vieillots, les couleurs sont ternes. Nous faisons connaissance avec la responsable du wagon. Elle ne parle que russe.

    Durant les 24 heures de trajet entre Berlin et Moscou, je commence à prendre conscience du voyage. C’est ici qu’il démarre réellement : les référentiels changent. Les paysages, l’architecture, la langue, le comportement des gens… La traversée de la frontière biélorusse nous propulse définitivement dans le voyage et la découverte. Derrière nous : l’Union Européenne sans frontière. Devant nous : l’ancienne URSS, le colosse communiste! Je suis à vrai dire intimidé, par cette région dirigée d’une main de fer, à l’histoire si différente et si proche de la nôtre à la fois.

    Le passage de la frontière est long. Deux contrôles de part et d’autre d’une rivière, longée par une barrière jaune à perte de vue. A chaque fois, 5 ou 6 personnes différentes qui auscultent nos papiers et la cabine. Certains prenant l’air sévère, d’autres engageant la discussion. A la ville frontalière de Brest, de nouveau un arrêt. Il faut changer les bogies pour cause d'écartements de rails différents entre Europe et Russie. A l’époque où le réseau ferré européen était en pleine construction, le tsar décida de ne pas prendre le même écart, par crainte d’une invasion  par l’Ouest.

    Le train redémarre : autour d’immenses usines, des maisons basses avec toits en taules, des rues non goudronnées. Les gares comportent encore souvent le symbole du communisme : faucille et marteau.

    Nous arrivons le lendemain matin à Moscou.

    Fabien

    Moscou, l'autre Europe

     

    Nous descendons à la gare de l’Ouest Bielorusskaia. Du monde, beaucoup de monde pour des Savoyards! Des dispositifs de sécurité omniprésents : hommes armes, appareils de contrôles radioscopiques…

    Nos visas russes n’ont pas été tamponnés dans le train. Nous souhaitons savoir si cela est nécessaire. La conversation est laborieuse, premier pas dans la langue russe. Ici, peu de gens sont anglophones. Nous suivons un homme dans la salle des guichets. Il s’adresse à l’administration. Il parle très fort, peut être en croyant que nous le comprendrons mieux… Nous clôturons rapidement la discussion, rien compris. Dans la cour de la gare, une jeune femme nous adresse la parole en anglais. « Avez-vous des problèmes de passeport? » Nous nous expliquons. Nos visas russes n’ont pas besoin d’être tamponnés : il n’y a pas de frontière entre la Biélorussie et la Russie. Nous sympathisons immédiatement. Daria est d’origine Turkmène, et vit à Moscou depuis plusieurs années. Nous déjeunons ensemble. Elle nous hébergera et nous fera visiter Moscou durant nos trois jours d’étape, avant de reprendre le train en direction de Bichkek. Nous ne logerons finalement pas chez Mikhail, un ami francais qui nous a gentiment prêté son appartement. 

    Moscou est une ville gigantesque : plus de 10 millions d’habitants. Un centre ville historique magnifique parsemé de superbes monuments : la place rouge, entourée du Kremlin et de la Cathédrale de Saint-Basile Le Bienheureux, le théâtre Bolchoï, de multiples églises orthodoxes, les 7 grattes ciels staliniens… D’immenses parcs et la rivière de Moscou aère la mégalopole.

    Cathédrale Saint-Basile-le-Bienheureux vue de la Place Rouge. 

    Le métro de Moscou, essentiellement construit à l’époque de l’URSS, est peut être ce qui nous aura le plus surpris. Les stations sont dignes de cathédrales. Des sculptures, des peintures, des mosaïques font la gloire de la Russie soviétique.

    Dans la rue, c'est le défilé de mode permanent. Les femmes moscovites sont belles et pimpantes, certaines à la limite du vulgaire.

    Le centre ville contraste fortement avec les quartiers périphériques. Immenses secteurs d’immeubles bétonnés vieillissants, qui s’étalent a perte de vue et rappellent les difficultés économiques d’un pays qui a été confronté à de profonds changements ces 20 dernières années.

    La politique n’est pas un sujet tabou. Nous avons pu discuter librement de Poutine, de l’héritage soviétique.
    Si les personnes ayant travaillé à l’époque soviétique sont nostalgiques, les jeunes semblent plus tournés vers l’avenir. Les parents regrettent un passé révolu ou tout le monde avait un travail et accès à une éducation et aux soins médicaux gratuits. Les enfants sont beaucoup plus distants. « Staline a fait plus de morts que la seconde guerre mondiale! » nous explique une jeune russe. On nous défend Poutine et Loukatchenko (le président de la Bielorussie). « Poutine a su contenir le pouvoir de la mafia qui s’était mis en place au lendemain de l’effondrement du bloc soviétique. La Russie a besoin d’un homme de poigne pour être dirigée. Sans poutine ce serait pire ». Quant a Loukatchenko, « il a su remettre les gens au travail, en rouvrant les usines ».
    Dans la même conversation, nous retrouvons le discours xénophobe que l’on connait en France. « A 5h30 du matin, dans le métro, il n y a que des visages asiatiques, des gens qui vont au travail. On ne se sent plus en Russie. » Les kirghizes et tadjikes constituent une importante main d’œuvre bon marche en Russie. 

    Ce sont eux que l’on retrouve sur le quai de la gare de Kazanskaya, pour le train de Bishkek, le dimanche 20 mai.

    Fabien

    Moscou-Bishkek :

    la douceur du voyage en train 

     

     

     

    Nous partons à 23h00 pour trois jours de train. Daria monte avec nous dans le wagon pour faire les présentations avec nos voisines de compartiment : Galina et Natalia, deux jeunes babouchkas moscovites qui vont voir la famille restée au Sud du Kazakhstan et Narguiza, jeune kirghize qui rentre au pays après 7 mois de travail a Moscou, dans une boulangerie. 

    Nous sommes en troisième classe. Un wagon est constitué d’une dizaine de compartiments communiquant les uns avec les autres. Dans chaque compartiment, 6 couchettes : 3 en bas, 3 suspendues. L’ambiance est détendue et calme, nous faisons petit à petit connaissance avec les autres compartiments. Nous sommes la curiosité du wagon : les gens viennent discuter avec nous ou nous interpelle dans les gares où nous faisons arrêt. Nous partageons nos repas et l’on nous offre des fruits et des légumes.

    Kanaï travaille dans le bâtiment à Moscou. Une jeune mère kirghize, coiffeuse, vient passer des vacances en famille. Une mère moscovite accompagnée de ses deux filles, vient elle aussi passer des vacances a Bichkek dans sa maison d’enfance où elle a vécu jusqu’a l’effondrement de l’URSS. Un gros brassage de personnes aux origines et aux vies différentes, ayant été rapproché par l’époque soviétique. Le Kirghizstan est un pays multi culturel où l’on y retrouve des communautés russes, allemandes, ouzbeks, chinoises, tadjikes... résultat d’une histoire tourmentée.

    Les arrêts permettent de se dégourdir les jambes et de faire le plein de provisions. Sur les quais, des petites épiceries ouvrent à l’arrivée du train. Les vendeurs à la sauvette s’installent et vendent nourriture (du poisson fumé aux boites de chocolat de Noël), boissons (bière et vodka bien sur) et des jouets.

    Nous passons la frontière kazakh en pleine nuit. Les agents tamponnent les visas et inspectent les compartiments. Un chien traverse le wagon : narcotrafic nous dit-on!

    Nous nous réveillons dans un paysage de steppes sèches, sans fin, monotones. Nous observons nos premiers chameaux. Nous passons près de la mer d’Aral ou tout du moins ce qu’il en reste.

    Le lendemain, dernier jour de ce voyage en train, le paysage reverdit mais reste monotone. De petits villages d’éleveurs s’égrainent le long de la voie ferrée.

    Le soir, un douanier kazakh joue les gros bras : notre bière posée sur la table est soit disant interdite (tous les hommes boivent de la bière dans ce train!), la lame de mon opinel est trop longue. Insistants et envahissants (il commence a fouiller nos pochettes), nous attendons l’instant ou il va falloir payer pour toutes ces entorses à la loi, créée spécialement en notre honneur... Ce petit jeu agaçant cesse à l’instant où passe la responsable du wagon. 

    La frontière kirghize approche : nous apercevons enfin les montagnes enneigées de l’Alatau kirghiz!

    A la frontière, un agent kirghiz en costume militaire me fait signe de descendre du train, seul. Galvanisé par les discours des kirghizes qui nous vendent les vertus de leur pays depuis deux jours, je ne m’inquiète pas. Je me retrouve au poste, face à un homme qui cherche à en savoir plus sur les objectifs de notre voyage. La conversation est lente et laborieuse. J’ai du mal à le comprendre. Satisfaits des vagues renseignements que j’ai pu lui fournir, il m’invite à fumer une cigarette puis une deuxième avec un de ses autres collègues, parlant cette fois anglais. Fierté kirghize et virilité en sujet de discussion.

    Dans le train, nos compagnons de route s'activent, troquent leur tenue pantouflarde du dimanche matin contre leurs plus beaux habits, coiffure impeccable, parfum et maquillage pour les femmes. Les discussions deviennent de plus en plus bruyantes et animées. A 2h30, l’arrivée à Bichkek est festive. Les familles montent dans le train,  se saluent en s’embrassant sur la bouche. Le frère de Narguizia, chauffeur de taxi nous pose devant l’immeuble de Simon. Bienvenue a Bichkek!

    Fabien


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