• Route du Pamir, l'ascension du toit du monde  

      

    Lundi 18 juin, nous mettons le cap sur le Pamir : l'Himalaya en ligne d'horizon, le toit du monde!

    Après une journée de voiture, nous faisons étape a Osh, une des principales villes de la vallée fertile du Ferghana où sont cultivés riz et coton.

    Le soir même, nous trouvons un chauffeur a la gare routière : nous convenons d'un départ le surlendemain, à l'aube, le temps qu'il trouve deux autres passagers.

    Cela nous laisse un jour pour découvrir Osh sous une chaleur suffocante : son bruyant bazar aux multiples couleurs et odeurs, son parc vert et ses attractions foraines (dont des karaokés en plein air!), la colline sainte ou affluent pèlerins et troupeaux qui paissent jusque dans les cimetières…


    A Osh, nous sommes réveillés par le vendeur ambulant de produits laitiers. Plus tard, nous découvrons le parc forain avec ses karaokés de plein air (attention aux oreilles).


    Petites boules de fromage vendues sur le marché

    Un ambiance plutôt détendue au premier abord mais nous sommes pourtant a l'endroit même ou de violents affrontements inter ethniques ont éclaté il y a deux ans quasiment jour pour jour entre Kirghizes et Ouzbeks, faisant plusieurs centaines de victimes. Dans la vallée du Ferghana, les frontières soigneusement dessinées a l'époque de Staline, divisent les communautés Kirghizes, Tadjikes et Ouzbeks. Un héritage empoisonné qui attisent les tensions : la région semble pouvoir s'embraser au moindre prétexte comme ce fut le cas en 2010.

    Mercredi 20 juin, c'est enfin le départ pour le Pamir. On nous avait promis un 4*4, c'est finalement dans une BMW vieillissante que nous montons. Nous y retrouvons un couple de touristes russes. Notre véhicule franchit difficilement les cols : il n'a aucune reprise, aucune puissance en montagne! Nous mettrons finalement 15 heures pour effectuer les 420 kilomètres entre Osh et Murghab, la capitale du Pamir Orientale, à 3650 mètres d'altitude, où nous arrivons au crépuscule. Plusieurs arrêts pour pousser la voiture, combler de pierres la route creusée par le ruissellement, passer un col a 4200 mètres à pied, un col a 4600 (cette fois en voiture). Les paysages sont saisissants, immenses, désertiques, lunaires, parfois hivernaux voire polaires, parsemés de rares habitations et d'alpages où les éleveurs français n'y mettraient pas trois vaches!


    Plusieurs "pauses" auront été nécessaires afin de réparer la route ou pousser la voiture...

    Nous retrouvons ici les éleveurs kirghizes, que des migrations successives ont portées sur ces hauts plateaux il y a quelques siècles. La région est l'une des plus isolées du monde : une route qui n'a pas connu d'entretien significatif depuis l'époque soviétique, plus de 10 heures de route pour atteindre la première ville côté kirghize, plus de 20 heures côté tadjik! Les cols sont maintenus ouverts durant l'hiver sauf épisode exceptionnel comme ce fut le cas cette année. Pendant un mois, le Pamir Oriental a été coupé du reste du monde. Le froid et surtout la neige ont provoque jusqu a 50 % de perte sur les troupeaux. Car ici, ce n'est pas tant le froid le problème (- 40 degrés est une température qui est atteinte chaque hiver). La neige en revanche, lorsqu'elle tombe en quantité et qu'elle se maintient longtemps, empêche les troupeaux d'avoir accès a l'herbe, car ici pas de fenaisons en été!

    Entre Kirghizstan et Tadjikistan

    Fabien

      

    Jaïloo d'Ak-Jilga, pays des yacks 

       

    Impatients, nous organisons rapidement une virée en montagne avec les conseils d'un guide de montagne local. Nous allons rendre visite à son frère, Youssouf, qui passe l'été en alpage avec ses bêtes (ci-contre, lettre du guide pour son frère, expliquant notre venue).  

    En route pour le jailoo, nous faisons étape aux sources d'eau chaude d'Eli Suu, blotties dans une gorge. Une vieille dame et son petit fils s'occupent du petit bâtiment thermal en pierre où l'eau sort à 65 degrés! A quelques dizaines de mètres, deux immenses serres aux murs en pierre sont abandonnées. La vieille dame nous explique qu'on y faisait pousser, il y a 4 ans encore, des tomates, des concombres et des salades, le tout à 3750 mètres d'altitude! Entre temps, une énorme crue a détruit le système de chauffage géothermique.
     

    Le lendemain, nous croisons une yourte en chemin. Un jeune homme nous invite a boire le thé. Il nous explique qu'il souhaite quitter le Pamir : "il n'y a ici que des yacks et des moutons. Pas de travail, pas d'argent. J'irai un jour à Dushanbe, Bishkek ou pourquoi pas en France" nous dit-il avec un sourire désabusé.  En continuant notre chemin, nous distinguons un village de yourtes en début d'après midi, sous une averse de neige. C'est ici que nous monterons notre tente pour trois jours, au jailoo d'Ak-Jilga. Le paysage est époustouflant.


    L'alpage dans lequel nous nous arrêtons quelques jours, chez Youssouf

    Nous sommes à 4350 mètres d'altitude au fond d'un large vallon, cerné par des pics dont certains recouverts de glaciers. 5 familles du village de Madian, situé à 30 kilomètres en contrebas, y vivent 3 mois par an, de fin juin a fin septembre, avec leurs troupeaux de yacks, moutons et chèvres. Pas de vaches ici, il y fait beaucoup trop froid.


    Youssouf nous accueille, en anglais, s'il vous plaît! 

    Youssouf nous accueille dans sa yourte qu'il partage avec sa femme Iris, son fils Meder et les deux filles de sa belle soeur. Nous discutons beaucoup, sur des sujets très différents : la paysannerie bien sur, nos vies respectives (famille, travail, religion)...


    Iris prépare le tchaï

    Youssouf a 40 ans, sa femme 26. Il est parti étudier le Coran a Osh, à l'âge de 17 ans, durant 7 ans. Il est ensuite revenu enseigner le tadjik à l'école de son village, pendant 10 ans. Maintenant, il est père de famille et paysan.  Il regrette l'époque soviétique : "c'était l'abondance, il y avait à manger, du fioul pour se chauffer, des magasins, des équipements et services de qualité (école, routes, santé...), du travail et de l'argent. Maintenant, tout a changé, c'est difficile." Un guide de passage dans la vallée nous explique que la corruption et le narcotrafic en provenance d'Afghanistan détourne une grande masse d'argent et induit un coût de la vie relativement élevé comparé aux pays voisins (le Kirghizstan notamment). 

     
    Youssouf nous dessine les deux grands ongulés des montagnes du Pamir, chassés à l'occasion, malgré leur statut d'espèce protégé : au premier plan, le cousin du bouquetin alpin, au second, le mouton de Marco Polo.

    Nous sommes invités dans chacune des yourtes et faisons ainsi connaissance avec chacune des familles, autour d'un bol d'aïran (yaourt de yack) ou de chirtchaï (thé mélangé à du lait salé et du beurre) accompagné de pain plat, de tchoromok (délicieuse galette cuite avec une fine couche de kaïmak : la crème au lait de yack) ou de chabati (sorte de crêpe très fine et croustillante). 


    Nos repas : du pain et toute sorte de produits laitiers

    Nos hôtes sont très souriants et curieux d'en savoir plus sur nos vies. L'un d'entre eux nous joue des airs kirghizes à la guitare. Je sors a mon tour mon instrument : une guimbarde vietnamienne trouvée sur le marché d'Embrun. Les anciens connaissent très bien cet instrument qu'ils appellent ozkroumous (litteralement guitare de bouche). Une dame âgée est heureuse de retrouver un des jeux de son enfance. Elle me le réempruntera par la suite. 


    Une grand-mère retrouve un jeu d'enfance, la guimbarde, et donne un concert en plein air devant mamans et enfants.

    La vie est rythmée par les bêtes. Il faut s'occuper du troupeau de 200 yacks, des chèvres et des 550 brebis gérés en commun pour l'estive. 


    Les familles du village de Madian viennent juste de s’installer sur leur alpage. Chacune des bêtes est soigneusement consignée dans un carnet.

     
    Une famille vit dans une cabane, exception à la coutume de la yourte. 

    Le matin, levés avant 6h00, dans une tente couverte de givre, pour la traite de quelques 40 yacks. Les veaux, qui ont passé la nuit dans un enclos séparés de leur mère, sont sortis un par un. Les mères ne sont pas loin et ne tardent pas à accourir pour rejoindre leur progéniture en grognant comme des cochons. Le veau affamé se jette alors sous le ventre de sa mère. Il n'a que peu de temps : rapidement on le retire et on l'attache à une corde fixée au sol. C'est au tour des femmes de prélever le précieux liquide, après avoir attaché entre elles les deux pattes arrière de la bête. ici, tout comme au Kirghizstan, seules les femmes traient. Au bout de quelques minutes, plus rien ne sort. Le yack retient son lait pour son petit. On le détache alors pour réamorcer la pompe. Chaque animal donne ainsi environ 1 litre de lait par jour qui sera consommé sur place sous forme brut ou de crème, beurre, yaourt, ou même de sorte de fromage lactique séché au soleil. 

    Des cochons sur le toit du monde? Non, des yacks!
    La traite se fait à l’aube, alors que le soleil n’a pas encore franchi les crêtes. Beaucoup d’habileté pour presser les petits trayons de ces ruminants et recueillir le précieux liquide dans un seau.


    On libère les petits pour qu'ils aillent sous la mère, puis les femmes peuvent traire.

    Pendant ce temps, Les hommes procèdent à la tonte à l'aide de grands ciseaux, en ayant préalablement bloqué le ruminant en lui attachant les pâtes avant. La laine récupérée sert à fabriquer des cordes.  

    Les yacks sont allégés de leur toison pour l’été, les ciseaux sont de sortie et chacune des bêtes est tondue après la traite.

     
    La tonte se fait à l'aide de grand ciseaux. 

    Les moutons et les chèvres ont déjà été tondu, avant la transhumance. La laine de mouton est en partie valorisée pour fabriquer des tapis, couvertures ou des yourtes. Mais l'essentiel est brûlé. "Ça ne vaut rien" s'exclame Youssouf. La laine de chèvre , en revanche, se vend chère aux chinois.

    La traite terminée, le troupeau de yack part pâturer ,pour la journée, les fonds de vallée enherbés. Les brebis et les chèvres parquées pendant la nuit pour prévenir une éventuelle attaque de loup, d'ours ou de léopard des neiges, suivent le berger sur les versants de la vallée où poussent ça et là des touffes d'herbe. 

    Youssouf nous explique que l'herbe est bonne ici. Les bêtes profitent et reviennent bien grasses à l'automne pour être vendues au marché de Murghab ou pour survivre à l'hiver pamiri. Les chiens, semblables à des petits patous, restent au campement de yourtes. Ils ne sont pas dressés pour conduire le troupeau et jouent essentiellement un rôle de persuasion vis-a-vis de la prédation nocturne.


     Le lait est ensuite filtré puis chauffé 

    Il est environ 8h00, le moment de prendre un petit déjeuner consistant sous la yourte : un grand bol de riz mélangé à du lait et du beurre (de yack bien sûr), le tout accompagné de nan (pain plat).  

    Les femmes transforment ensuite le lait et préparent le déjeuner. Pendant ce temps, les hommes qui ne sont pas partis surveillés les bêtes, sont de corvée de chauffage. Il partent ramasser des bouses de yacks séchées pour faire le feu. Il y a toujours quelque chose a faire.


    Dans la yourte de Youssouf, sa femme Iris accompagnée de sa nièce préparent le kaïmak en écoutant de la techno.

      
    Iris et sa nièce préparent les délicieux tchoromoks. 

    En fin de journée, il faut rassembler les bêtes et les rentrer. L'opération prend une allure cocasse pour les yacks. Tout le monde est présent : femmes, hommes et enfants pour séparer les mères de leur petits pour la nuit. Il s'agit d'attraper les veaux ou de les faire rentrer avec leur mère dans l'enclos avant de les séparer. De grands gestes, des cris d'effarouchement, des courses poursuites : scéance sportive pour clore la journée!


    Rassemblement des yacks et séparation des mères et petits. Une opération qui prend vite l'allure d'un jeu sportif!

     
    Le soir, les veaux sont séparés des mères et rentrés à l'enclos

    Après 3 superbes journées, nous quittons l'alpage le coeur un peu lourd : nous aurions bien passé plus de temps parmi ces paysans de très haute montagne, si accueillants et si généreux.


    L'alpage résonne des rires et des jeux d'une ribambelle de mômes.

    Nous repartons avec chacun un cadeau, offert par Iris, la femme de Youssouf : un foulard pour Perrine et un kalpak (chapeau kirghize conique en feutre) pour moi. Nous ne savons comment les remercier. Après la photo d'adieu, sacs sur le dos, Youssouf nous lance : "Nous ne vous oublierons jamais. Ne nous oubliez pas vous aussi! Et si vous avez un fils, appelez le Pamir!"

    Fabien

     

    Agrotourisme chez Saraïbek

     

    De retour à Murghab, nous décidons de partir cette fois en vélo. Nous louons nos montures pour deux jours, pour une boucle de 130 km sur le plateau du Pamir Oriental.


    Lac de Rankul

    Nous faisons étape au Jailoo de Jolbo Liouk, à 4100 mètres d'altitude, où Saraïbek nous accueille dans une yourte destiné aux touristes. Avec l'aide d un programme de développement ecotouristique conduit par une ONG française, il a commencé 3 ans auparavant à accueillir des touristes sur l'alpage qu'il occupe de juin a octobre avec 4 autres familles. Cette petite affaire marche très bien nous dit-il.

    Saraïbek nous invite dans sa propre maison, faites de briques en terre, où nous faisons connaissance avec ses deux fils âges de 6 et 8 ans, sa fille de 1 an et sa femme.

    Dans la seule pièce de la bâtisse pend une panse sèche de brebis, comme nous en avions vu chez Youssouf. Saraïbek nous explique qu'il s'agit d'un contenant qui sert à conserver le beurre fabrique à l'alpage, pour tout l'hiver. Il fait bon, le poêle tourne à plein régime, alimenté par des plaques de déjections (découpées dans les parcs de nuit) et du teresken, un buisson ligneux, en net recul dans la région depuis la fin de l'approvisionnement en fioul soviétique bon marché. Dans un coin siège une vieille télé.

    Arrivée soulageante en vélo chez Saraïbek (assommés par plus de 70 bornes à 4000 mètres d'altitude), nous sommes conviés dans la maison où sa femme prépare le dîner, entourée de ses 3 enfants. Préparation de la potée et pétrissage de la pâte à pain.

    Pendant que Perrine aide a la préparation du dîner (du borchtch : sorte de potée au chou), Saraïbek me montre des cristaux qu'il a trouvé dans la montagne : quartz, tourmaline, rubis… Il veut m'offrir un énorme cristal de quartz, gros comme le poing. Je ne peux accepter : le présent est trop conséquent et surtout beaucoup trop lourd pour deux voyageurs à sacs a dos… Je peine à lui expliquer mon refus. J'espère ne pas l'avoir vexé…


    La traite sous le soleil matinal

    Nous sortons. Dehors, Saraïbek a garé sa lada jaune de 40 ans contre la maison. Nous faisons le tour du campement, l'occasion de faire la connaissance des autres familles et de parler de la faune sauvage locale.

    Dernièrement, 3 yacks ont été tué par les loups, en l'espace de 10 jours seulement. Il sort ses jumelles et scrutent les crêtes. 3 moutons de Marco Polo broutent paisiblement au soleil couchant. Ces animaux endémiques sont les plus gros ovins sauvages au monde. Ils sont chassés pour leur viande malgré leur statut d'espèce protégé.  

    Nous retournons dans notre yourte et savourons un délicieux repas. 

    Le lendemain, nous repartons pour Murghab : un col et des vallons immenses pour paysage.

    Une belle virée en vélo que nous espérons pouvoir revivre plus tard, pendant notre voyage.

    A Murghab, pendant ma douche hebdomadaire, je m'étonne en me regardant dans la glace. Une barbe épaisse, des joues creuses et des dents jaunes… Les repas avec les paysans kirghizes n'ont pas satisfaits suffisamment mon appétit même si je ne ressentais pas de faim particulière (les paysans d'ici mangent très peu et pourtant ils ne sont pas maigres!). Mon allure et Perrine me rappellent a l'ordre. Il est grand temps de se goinfrer quotidiennement comme tout bon européen.

    Quant aux dents, un peu de dentifrice suffira a retrouver une blancheur convenable. Nous avions jusqu'à maintenant utilisé de l'huile essentiel de tea tree, idée récupérée dans un magazine sérieux, mais sans vérification supplémentaire. 

    Fabien

    De Murghab à Khorog, l'aventure insouciante

     

    Les Home Stay ou « logement chez l’habitant », ou encore « les auberges », donnent souvent l’occasion de rencontrer d’autres voyageurs et d’échanger sur les destinations respectives. En général, nous croisons beaucoup de personnes sur le trajet inverse du nôtre. C'est aussi beaucoup de générosité et de gentillesse de la part de ceux qui nous acceuillent. Ce matin là, la très jolie fille de la famille nous offre un pain plat tout juste sorti du four juste avant notre départ. 

     

     Au four à pain, à Murghab

     

    La route que nous décidons d'emprunter pour aller jusqu’à la vallée de Wakhan, au sud du pays, nous est plusieurs fois déconseillée en stop. A priori, c’est une route uniquement empruntée par des touristes en 4x4 car elle est en piteux état. Tous les véhicules préfèrent la route du nord pour rejoindre Khorog. Apres avoir refusé plusieurs fois les services de guides nous proposant un transport confortable, mais cependant très coûteux, à bord de jeep pour faire le trajet désiré, nous décidons malgré tout de tenter en stop jusqu’ au fameux croisement à une centaine de kilomètres.

     

    A 8h du matin, nous voila prêts au bord de la nationale à la sortie de Murghab avec nos gros sacs sur le dos. Nous avons vu tellement de camions chinois défiler sur cette route que nous avons bon espoir d'en arrêter un. En effet, le deuxième essai est le bon. Sans un mot d'anglais ni de russe, nous arrivons à comprendre que le chauffeur ne veut prendre qu’une personne à bord. On hésite, puis finalement un autre camion s'arrête juste derrière et propose aussi de prendre quelqu’un. On ne sait pas trop quoi faire, les chauffeurs nous font signe de monter, bloquent presque la route, nous n’osons plus refuser… je monte à bord du premier, Fabien à bord du second. Seulement les deux camions ne vont pas du tout à la même vitesse, et je vois le sien me doubler et s'éloigner au fur et à mesure que le paysage défile. La tache rouge double d'autres véhicules… C'est un peu la panique…. le barrage de contrôle de sortie de la ville me permet  de prendre mon sac et de rejoindre Fabien déjà au poste, ouf ! C'est décidé, on ne se quitte plus dans la précipitation…

     

    On essaye de trouver une solution pour voyager dans le même camion pendant que les chauffeurs fument et rient avec les militaires. Deux sourds muets nous proposent d’échanger leurs places. On a le sentiment qu’en quelques gestes nous nous sommes parfaitement compris. Leur talent pour mimer une situation, avec le visage qui se transforme pour s’exprimer au mieux, nous fait bientôt rire aux éclats. Ainsi, les deux camions rapides se suivent, nous nous retrouvons dans le premier avec un chauffeur qui passe en boucle et à fond des tubes de dance. Plus serein, on profite du paysage.


    A midi, nous nous arrêtons dans un des plus gros village que nous avons traversé. Pas un arbre, juste de la poussière et des maisons de la même couleur. C'est apparemment la pause des chauffeurs car plusieurs camions sont arrêtés. Nous mangeons à la table des sourds, qui n'ont pas l’air ravi du contenu de leur assiette en faisant des grimaces. L'un pêche dans des lacs proches des poissons énormes, biens plus gros que ceux servis dans cette gargote. L'autre fait signe que les femmes sont plus belles en Europe, et que c’est pour cela qu’il n’est pas marié. Nous reprenons la route pour une petite heure, le temps d'arriver au croisement. Là nous décidons d’attendre jusqu’à 17h : si on ne croise pas de véhicule en direction de la vallée de Wakhan, nous referons du stop sur la route principale pour Khorog. On patiente, on lit, on mange des fruits secs. Parfois, une bourrasque de vent nous donne l'illusion qu’un moteur n'est pas loin, que des roues crissent sur les graviers… en fait rien! Même les oiseaux sont rares. Au bout de 3 heures d’attente, nous retournons sur la route principale, on aura tenté! Encore un peu d'attente et une voiture (chinoise encore) nous emmènera en direction de Khorog. 


    Sur le trajet, nous passons un col à plus de 4000 mètres qui marque un changement définitif dans nos références liées à l’Asie centrale : les visages aux pommettes hautes et les yeux bridés laissent place à des yeux plus clairs et des sourcils marqués. C'est l'influence perse qui prime, nous laissons derrière nous le peuple Kirghiz.

    Les yourtes pour les bergers, sont remplacées de maisonnettes en pierre, difficilement perceptibles dans le paysage de la même couleur. Depuis une dizaine de jours à Murghab, nous n’avons quasiment plus vu d’arbre, et nous sommes attentifs à la végétation qui semble de plus en plus luxuriante à mesure que nous descendons dans la vallée. De magnifiques ponts suspendus permettent de rejoindre les deux rives du Gunt. Nous arrivons tard à l'auberge, où l’on s'effondre pour une courte nuit. 

     

    Perrine

      

    Vallée de Wakhan, l'invitation paysanne

      

    Le samedi c’est le jour du marché Afghan à Ishkachim. La rivière de la vallée du Panj constitue la frontière nord du corridor de Wakhan en Afghanistan et le marché est situé sur une île au milieu de la rivière. Nous décidons ne nous y rendre, sur les conseils de voyageurs.

     

    Après les nombreuses pauses du taxi collectif (remplissage de bouteilles d’eaux pétillantes à la source, achat de poisson fraîchement pêché par un jeune garçon, bain dans des sources chaudes) nous finissons par arriver au moment du remballage. Juste le temps d’observer furtivement les visages, encore différents, des Afghans. Ils portent le turban et vendent tout ce qu’on peut trouver comme m… chinoise sur tous les marchés de la région: dentifrice, gel douche, et un peu de produits locaux tels que des pastèques, beignets…

    La religion est commune (Ismaélisme : une branche de l'Islam chiite) entre les deux versant de la vallée du Panj, les paysages sont on ne peut plus similaires, mais aucun contact n'est établi entre les deux peuples voisins de quelques dizaines de mètres, mis à part ce marché hebdomadaire.

    Si les voyages en Afghanistan sont sujets à controverse, le nord du pays constitue presque une enclave et est un lieu sûr selon de nombreux voyageurs. 

     

    Vue sur la rive Afghane, la rivière Panj, affluant de l'Amou-Daria, sépare les deux pays. 


    Les glaciers des sommets alimentent constamment la rivière frontalière, qui coule dans un grondement impressionnant et brasse quantité de boue et de rochers, en particulier aux heures les plus chaudes. Les ruisseaux se gonflent et les canaux d'irrigation débordent. Tout est construit en terrasse, sans lesquelles aucune culture ne serait possible.

     

    On décide de continuer la route à pieds, en se perdant entre les parcelles de blé, serpentant entre les murets et les arbres fruitiers. L'ambiance est totalement différente de celle de la route. L'air y est frais et partout l’ombre appelle à prendre congé du soleil brûlant. On nous hèle sans arrêt: Hello, chaï? On ne sait pas trop quoi répondre…. est-ce une réelle invitation à boire le thé ou une marque de politesse?


    Nous rencontrons cet homme alors qu'il s'appliquait à l'entretien d'un canal d'irrigation. Il se plaint de la rudesse de l'hiver et des maigres récoltes et nous explique que beaucoup sont contraints de s'exiler en Russie pour survivre.

    Au bout de quelques refus, nous nous retrouvons dans une cour intérieure, poussés par un gars de notre âge. Son sourire et ses quelques mots d'anglais nous amusent. Une première dans l'intérieur des maisons que l’on observait jusque là curieusement : Une grande pièce entourée de 5 piliers en bois sculptés, bordant une fosse centrale représentant les membres de la famille d'Ali et les 5 piliers de l’Islam. Au plafond, une petite ouverture centrale triangulaire qui laisse filtrer la lumière du jour, et tout autour des tapis. Une partie de la pièce est réservée à la cuisine avec un four. C'est magnifique! Comme à chaque fois que l’on nous invite, ce n’est pas seulement un verre de thé, mais c’est aussi du pain et du yaourt.

     

    La maison Pamiri

     

    Cette pièce n’est pas toujours habitée, elle sert surtout de recueillement religieux, d’accueil des invités ou de salle de réception pour les mariages. La plupart des familles sont des musulmans ismaélites. Ils n'ont pas de mosquée mais prient chez eux, en famille, au lever et coucher du soleil nous explique-t-on.

    La télévision est allumée, et Nabil, qui vient de terminer ses deux ans de service militaire, ne décroche pas tellement de la série afghane. Nous regardons quelques minutes, les décolletés et les chevilles des femmes sont floutés!
    Nous continuons notre route vers les sources d'eau chaude de Bibi Fatima. La longue montée aux heures les plus chaudes n’est pas une bonne idée, mais la vue est imprenable. Les étages des terrasses savamment organisées entre les habitations offrent un contraste poignant avec les montagnes ocres.

     

    Nous arrivons aux sources en fin d'après midi, en même temps qu’un mini bus de locaux. C'est l'occasion pour moi d'observer les femmes entres elles, toutes génération confondues. Les mamies sont aidées par les plus jeunes à rentrer dans l'eau, elles discutent, me posent des questions, m’offrent la place sous la petite cascade. Le lieu est magique car l'eau a sculpté et poli la roche d'une couleur gris vert. La température de l'eau, d'abord agréable, devient vite insupportable, et je retrouve Fabien à la sortie aussi lessivé que moi.

    Nous traînons un peu la patte jusque à un emplacement qui semblait nous attendre pour planter la tente : un bout de terrasse pas encore cultivée avec vue panoramique sur la vallée.

    Nous demandons l'autorisation à la famille juste à côté : la mère de famille accompagnée de ses trois enfants nous apporte une théière et un pain plat sur un plateau, à peine notre tente montée.

    Un coucher de soleil donne une lumière encore plus particulière au lieu, puis la lune bien ronde apparaît  derrière les montagnes de l'Hindu Kush, frontalières du Pakistan…  

     

    Vue depuis notre tente au clair de lune...


    Le lendemain, nous poursuivons tranquillement dans la vallée, au milieu des cultures. 


    Symphonie champêtre au réveil.

    L'invitation est omniprésente. Nous hésitons à plusieurs reprises et décidons de rejoindre le village de Vrang. 


    Près du village de Vrang, un petit musée présente la vie traditionnelle de la vallée. Le responsable nous joue un air de luth.

    Quelques mètres avant notre arrivée, une fringale nous fait entrer dans un petit magasin où nous trouvons des fruits secs que nous grignoterons à l’ombre d’un vieux tronc.

    C'est là qu’une petite famille s'approche, et nous commençons a discuter. L'accent à la consonance Américaine de la fille, Maniza, nous fait tout de suite réagir : C’est la prof d'anglais de Vrang !

     

    L’occasion est trop belle, c'est évidemment plus facile pour nous de discuter, et on accepte immédiatement son invitation. Le temps de poser les sacs, de boire (encore) un thé, et nous voilà dans le petit jardin potager derrière lequel vient d’être installé un four pour le pain. Il a été acheté à la capitale pour 100$, ce qui représente deux mois de salaire pour un professeur. Il faut d'abord le faire chauffer à très haute température, puis, les boules de pain préparées à l’avance sont aplaties, trouées et jetées sur le bord du four par le haut. Elles collent à la paroi : les pains plats seront prêts dans une quinzaine de minutes. En une heure environ, dix pains plats sont cuits. Dans quelques jours ils en referont quand il n'y en aura plus.

     

    Maniza et sa famille teste le tout nouveau tandir, four traditionnel de l'Asie Centrale. 

     

    A cette occasion, les cousins et la famille voisine sont venus  observer et inaugurer le four. Pendant ce temps, le père de famille présente le jardin potager à Fabien: carottes, melon, concombres, choux, tomates, pommes de terre, fenouil, oignons et autres plantes aromatiques. 

    Tous les habitants du village peuvent en profiter et la ressource est suffisamment importante pour qu’il n’y ait pas besoin d’organiser des  tours. En dehors du jardin, les terres sont cultivées pour le blé, les pommes de terre et plus marginalement la luzerne. Les semences sont échangées entre les villages tous les deux ans.

     

    Le jour de notre départ, le canal est bouché en amont par une crue trop importante liée à la fonte des neiges. En le remontant, nous tombons sur une dizaine d'hommes qui travaillent pour le remettre en état. L'usage du canal par tous implique l’investissement de chaque famille dans son fonctionnement. Ainsi, au printemps, chaque famille envoie un homme pendant environ une semaine pour rouvrir le principal canal. 

    Les moulins à eau du village sont aussi gérés en commun. Un responsable s’occupe du mécanisme quand les producteurs viennent mettre en sac leur propre production de farine. Le responsable, très fier de nous faire visiter son moulin, est payé en farine à la fin de chaque production mise en sac.

     

    Le meunier du village nous fait visiter son moulin


    Comme la majorité des familles de la vallée, celle de Maniza possède aussi des animaux, moins que les éleveurs kirghiz que nous avons pu rencontrer jusqu' à présent et qui vivent uniquement de l'élevage, mais suffisamment pour pouvoir se nourrir toute l'année : 10 vaches, 25 brebis, 25 chèvres, un taureau et un bœuf pour labourer, des lapins et des poules.

    En ce moment, les troupeaux du village sont à l’alpage, à une centaine de kilomètres à l’est, plus en altitude. Ils sont gardés par deux familles du village dont la nourriture est payée en plus du salaire versé en fonction du nombre de bêtes à garder. 
    Nous faisons connaissance, et pendant les deux jours où nous restons chez notre hôte, nous découvrons un peu mieux la structure de la famille. Il n'y a que peu de monde au village, car la mère, les frères et sœurs de Maniza travaillent à Dushanbe (la capitale) et parfois même en Russie. Il est très fréquent que certains membres de la famille travaillent ailleurs car il n'y a pas beaucoup de travail et surtout d'argent dans la vallée.

    Mais les mois d’été sont souvent le moment des retrouvailles avec ceux qui travaillent loin et qui rentrent au pays. Il est souvent question d’argent dans les discussions, et notre voyage intrigue, surtout à notre âge! Il est parfois difficile de justifier le prix du billet de train ou encore celui d'un visa quand nos interlocuteurs gagnent 50$ par mois en ayant fait des études supérieures de plusieurs années…

     

    Le village de Vrang aura été pleins de belles rencontres, et c’est un peu difficile de repartir. Maniza nous accompagne au bord de la route pour arrêter une voiture qui nous amènera un peu plus haut dans la vallée. Elle est rejointe par le jeune meunier, puis sa nièce, et deux autres hommes. C'est les vacances et ils n'ont pas grand chose de prévu pour la journée, alors ils prennent le temps, discutent... Ce que nous prenons rarement le temps de faire ailleurs qu’en voyage. 

    Nous décidons d'avancer un peu pour rejoindre le prochain village et augmenter nos chances de trouver une voiture. Nous attendons depuis presque deux heures quand une voiture en mauvais état s’arrête.

    Une fois les deux petites montées sur les genoux des parents et les deux grands à l’avant, nous nous encastrons à l’arrière.

     

    A l heure du repas, le conducteur s’arrête dans la maison de ses parents. Sans trop comprendre nous entrons, et on nous sert immédiatement un repas délicieux, notamment du yaourt avec des herbes fraîchement coupées : coriandre, persil, fenouil. On reprend ensuite la route en plusieurs tronçons, pour finir dans un bus qui rentre chez lui en fin de journée. Nous demandons au papi qui le conduit où nous pouvons planter notre tente car le village est particulièrement accueillant. Évidemment, chez lui!


    Nishusp, la maison de notre hôte.

    Nous descendons des marches faites de vieux pneus de tracteurs dans une forêt presque luxuriante, jusqu’à une magnifique maison. Nous dormirons à l’air frais, sur la petite terrasse surélevée, après une douche excellente dans le bania familiale (petite pièce en terre a l'extérieur réservée à la douche avec de l'eau chauffée sur le toit). 

     

    Pour clôturer notre passage dans le Pamir, nous partons deux jours dans les montagnes autour du village de Nishusp. Nous verrons de loin deux bergers accompagnant les brebis et les chèvres sur l'alpage, les vaches semblent être relativement autonomes car nous voyons seulement leurs silhouettes sur la crête au dessus de laquelle nous campons, à plus de 3000 m. La nuit est étonnamment chaude, et nous redoutons à présent notre arrivée dans la capitale prévue dans les prochains jours, nous n’aurons plus froid jusqu’à l' automne à présent!

     

     

    Perrine

     

     

    Khorog, se méfier de l'eau qui dort...

     

    Voici quelques ambiances sonores prises au cours de notre pause à Khorog, avant la descente à Dushanbé (capitale du Tadjikistan).
    Une ambiance des plus agréables et sereines où rien ne laissait présager ce qui allait y arriver 2 semaines plus tard. Alors à Dushanbé, nous apprendrons qu'une opération militaire, qui visait à tuer l'un des derniers protagonistes de la guerre civile tadjike, a embrasé la ville. Des affrontements ont lieu dans les rues et les accès au Pamir sont coupés l'espace de quelques jours.


    Balade dans le bazar!


    Khorog possède un immense parc botanique, héritage de l'époque soviétique. Un plateau irrigué, où l'herbe pousse dru... Pragmatiques, les pamiris viennent y faire les foins et entretiennent ainsi cet agréable lieu, bien ombragé, où les oiseaux trouvent une parfaite résidence.


    Au crépuscule, un magnifique chant émane de la petite ville. Une prière?

     

     

    Beautés et dangers de l'autoroute pamirie... 

     

    L'autoroute Tadjike... La M41 constitue la seule route reliant le Pamir au monde. Des caravanes de camion en provenance de Chine l'emprunte quotidiennement pour acheminer des marchandises en tout genre (certains disent des armes...). Apres quelques heures d'attente, un passage creusé dans la montagne nous a permis de passer... Une pensée pour le chauffeur qui a du se faire une belle frayeur!

      

    La moisson, côté afghan.


    Mosquée des mille et une nuits... 

     

    Vallée du Yagnob : et pourtant que la montagne est belle!

      

    En attendant nos visas turkmènes à Dushanbé, nous décidons donc de repartir pour 10 jours, cette fois dans les montagnes du Nord du pays. 

    Notre principale motivation : un coin perdu, inaccessible en hiver et relié au reste du monde par des sentiers muletiers et qui s'appellerio : la vallée du Yagnob... Dans la zone habitée la plus haute vivent encore plusieurs centaines de personnes de langue sogdienne, une langue pratiquement inchangée depuis l'époque d'Alexandre le Grand, qui marqua profondément la région il y a plus de 2300 ans! Enfilons nos spartiates, l’aventure nous attend! Changement de référentiel, voyage à travers le temps : les mots sont forts mais c’est globalement ce que nous avons ressenti.

    L’accès à l'entrée de la vallée est trompeusement aisé : nous sommes seulement à trois heures de voiture de Dushanbé. Nous finissons tout de même la route, entassés à l'arrière d’un coffre de Lada 4*4 (qui transporte déjà 8 personnes), le taxi qui dessert les deux premiers villages. Après, plus moyen de continuer en voiture, ce sont les caravanes d’ânes qui prennent le relais. Nous n’en pouvons plus lorsque la voiture s’arrête enfin. Le coffre est bloqué : chacun à leur tour, nos compagnons de route essaient de nous délivrer. La scène dure peut être deux minutes : nous craquons et sommes pris d'un fou rire qui se transmet rapidement autour de nous, d'autant plus lorsque le chauffeur pique une colère craignant de voir sa poignée s’arracher. Sésame ouvre toi! La délivrance ! Nous nous déplions enfin, et sommes d’attaque pour partir à la rencontre des paysans du Yagnob!

    Dans les villages du Yagnob, les maisons sont faites de bois, de terre et de pierre. Seuls indices qui trahissent notre époque, les paraboles relient la vallée au reste du monde. 

    Nous déjeunons à la sortie du village, dans une petite bande de pré fraîchement fané. A quelques mètres, une mère et sa fille poursuivent les foins, accroupies, chacune une faucille en main. Nous leur tendons un gros sachet de biscuits achetés en vrac. La mère croit que je lui donne la totalité. Je suis mal a l'aise mais lui fait comprendre qu’il faut seulement quelle se serve un peu. Nos provisions sont comptées nous sommes partis pour une semaine : pas de magasin dans cette vallée. Mais ici lorsque l'on offre, on donne la totalité de ce que l'on présente : elle a compris mon erreur mais repart tout de même avec l'équivalent de la moitié de notre réserve de biscuits... 

    Le premier soir, nous bivouaquons près du village de Shirtob, sur d'anciennes terrasses.
    Au petit matin, nous sommes réveillés par deux hommes rejoignant leur village avec leurs ânes chargés de provision. Il est 6h00 : l’équivalent d'une grasse matinée! Ici, on se lève à 4h pour la première prière de la journée. Petit déjeuner dans le ventre et sacs à dos fermés, nous reprenons le chemin et ne tardons pas à rencontrer une caravane de trois hommes et 6 ânes chargés qui rentrent au village de Qironti. Nous sympathisons avec le plus âgé, Boronboy, qui parle russe. Il nous explique qu’ils effectuent les 100 km aller retour entre leur village et le magasin en 2 jours. 50 km par jour, autant dire que ça cavale! Perrine est délestée de son sac : un âne lui offre le portage. Je refuse bêtement, ne voulant pas surcharger ces braves bêtes.

    Boronboy. 

    Je tiens le rythme effréné de la caravane la matinée. Le paysage magnifique défile à tout allure : nous décidons de poursuivre à notre rythme, laissant filer Boronboy et son équipe. Ce dernier nous invite chez lui : nous atteindrons son village deux jours plus tard.

    Des pâtes, de la farine, du sel et du sucre constituent le chargement de cette caravane d'ânes. Ravitaillement indispensable au maintien de la vie dans le Yagnob.  

    L’après midi, nous reprenons notre rythme de porteur. Le paysage est sublime : des villages accrochés à flanc de montagne, dans un écrin de verdure : pâturages, prés de fauche, champs de blé et de patates essentiellement... Le Tadjikistan est un pays globalement aride : cette profusion végétale donne une allure de pays de cocagne à la vallée du Yagnob. Mais la vallée se vide, victime de son isolement. En une quarantaine d’année sa population a été divisée par dix! Nous observons les vestiges d’anciens villages : des murs en pierre encore visibles. Beaucoup de traces d’anciennes terrasses, aujourd'hui dédiées au pâturage. Une vallée encore vivante mais pour combien de temps encore.

    Première étape dans la haute vallée du Yagnob, ce village compte aujourd'hui 4 familles.

    Je pense aux vallées cévenoles, au Queyras, pays aux destinées similaires, dont l’hémorragie s’est heureusement arrêtée. Je fais le voeu utopique que les villages du Yagnob connaîtront la même destinée. Les sirènes de Dushanbé attirent irrésistiblement les jeunes. Il faut dire qu’ici nous sommes à mille lieux du rêve commun tadjik et du confort : pas de route, pas de téléphone, isolement 6 mois par an par la neige et les avalanches... Seul luxe : l’électricité fournie par des panneaux solaires offerts par le Président Emomalii Rahmon (une manière de compenser l’abandon de la vallée par les pouvoirs publics???) et de multiples micro centrales hydrauliques. On a donc la lumière (peut être même plus qu’à Dushanbé ou seulement 4 heures d'électricité par jour sont disponibles en hiver) et la télé pour visualiser ce qu'il  se passe sur la planète Terre. 

    Beaucoup de songes en marchant ici : l’ambiance, vous l’aurez compris ne laisse pas indifférent. Je pense à la chanson de Jean ferrat : « pourtant que la montagne est belle! »

    Le sentier, entre falaise et rivière, unique moyen d'accès pour plusieurs villages. 

    Nous passons 5 jours à remonter cette vallée en direction du col de Rost qui nous permettra de basculer sur la vallée du Zaravchan. Hormis le premier soir donc, nous sommes invités à poser notre sac chaque nuit suivante et plusieurs fois pour prendre le thé. Une hospitalité franche, toute naturelle. Ici le voyageur, quelque qu’il soit ne mourra jamais de faim ou de froid. On vous ouvre la porte d’abord pour boire un thé et grignoter. Puis on vous dit que cette maison sera votre gîte et votre couvert jusqu’au lendemain. Et si vous refusez ou que vous souhaitez dormir dans votre tente : on vous regarde d’un air éberlué ou l’on fait comme si l'on ne vous avait pas entendu. Lorsque vous souhaitez rétribuer votre hôte, on vous refuse la plupart du temps le billet que vous tendez maladroitement, ne sachant comment remercier (il nous est impossible d'offrir de la nourriture, pas de magasins ici!).


    Au cours de ces 5 jours de marche, nous sommes conviés tous les soirs à la table et au repos des habitants de la vallée du Yagnob.

     

    Les villages sont différents de par leur taille ou leur organisation. Certains sont très compacts, d'autres plus aérés. La taille varie d'un à quinze foyers. Les maisons sont rustiques et propres. Les matériaux proviennent des ressources locales : des pierres, de la terre et du bois. Les façades sont fraîchement enduites d’argile jaune pâle, donnant un aspect récent aux maisons. Les bergeries sont en pierre sèche. Sur les façades, les femmes font sécher des galettes de bouses qu’elles réalisent avec les déjections des vaches rentrées pour la nuit. Sur les toits, d’énormes pyramides de foin sont constituées pour l'hiver. A proximité des maisons, le carburant est stocké aussi pour l’hiver : là aussi d’imposantes pyramides de déjections sont construites durant tout l’été.

    Ces petites bâtisses en pierre abritent les animaux. Avec les bouses de vache, les femmes constituent des galettes séchées sur les murs et utilisées comme combustible. 

    Nos hôtes sont souvent flattés que l'on s'intéresse à leur vie, à leur manière de travailler. L’un nous accueillera comme à l’hôtel, mettant à disposition une chambre et nous laissant dîner en tête a tête. L’autre passera l’ensemble de la soirée ainsi que le petit déjeuner à nos côtés, laissant les femmes au fourneau.

    Chez Nolobobo, l'âne peut être aussi bruyant qu'un 4*4 mais est beaucoup plus adapté au Yagnob! Dans les jardins qui jouxtent le village, notre hôte butte ses rangs de patate. Pendant ce temps, les femmes préparent le dîner. Le lendemain, nous rejoignons deux jeunes filles en pleine fenaison. Pour peu de temps... L'une d'elle a oublié son voile et la présence masculine étrangère l'importune fortement. De dos, elle n'ose plus se retourner et parler...

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    Enfin, le dernier chez qui nous serons hébergés, Boronboy, nous intègre à sa famille. Nous assistons à la découpe du mouton (fraîchement tué sur l'alpage), à la préparation du dîner. Nous mangeons tous ensemble avec lui, sa femme et 7 de ses enfants. Durant l’après midi, nous aurons longuement discuté avec sa femme autour d’un copieux goûter. Elle est pamirie et nous est beaucoup plus familière que les autres femmes que nous avons croisé, très timides et parfois ayant l’air gênées, voire apeurées par notre présence. 

    Les enfants présentent parfois une frimousse hors du commun : cheveux teints et sourcils reliés par un épais trait noir. Les critères de beauté ne sont pas universels...

    Frimousse surprenante pour cette petite fille. L'épais trait noir serait une vieille tradition, également présente au Moyen-Orient. 

    Ici, les paysans sont avant tout des éleveurs. La ressource fourragère est présente en abondance et le cheptel est un important capital que certains peuvent se permettre de vendre en partie à l’automne. Les cultures sont aussi bien présentes : blé pour la farine (chaque village possède son moulin hydraulique), patates, potager (choux, carottes, fenouil, tomates…). 

    Au village de Padipast, Sultan nous montre son potager.

    Notre dernière nuit dans le Yagnob, chez Boronboy, est délicieuse : calme et fraîche. Encore une fois, nous nous réveillons tardivement à 6h30. Réveil oublié! On nous attend pour le petit déjeuner. La discussion s’attarde sur la vie en France. Boronboy est curieux d’en savoir plus. Encore une fois, cette image de contrée paradisiaque diffusée essentiellement par la télé intrigue. Nous expliquons à Boronboy que non, nous n’avons pas de besoin particulier mais que certains vivent dans la rue chez nous, que l’hospitalité telle qu’il l'a pratique est un mot vide de sens dans les pays occidentaux. Nous lui parlons d'individualisme voir d’égoïsme : une société peut-être en perte de lien. Beaucoup d’argent certes, mais la vie est chère et chacun travaille pour avoir accès à une consommation effrénée. Il est estomaqué par le prix d’une maison. Lorsque nous lui expliquons qu'il faut attendre d’avoir une trentaine d’années pour pouvoir avoir son propre toit, puis 30 ans de plus pour rembourser son emprunt aux banquiers, il s’exclame en russe : « c’est mauvais! »  Son plus grand fils travaille en Russie, il est à moitie surpris, connait déjà un peu l’envers du décor. Il reprend : « Ici avec ma famille, nous avons une maison et de quoi manger. Ça me suffit. Pas besoin de beaucoup d’argent! Quand je me rends à la ville, je sais que j'aurai toujours quelqu’un chez qui dormir. Je me déplace à dos d'âne ou de cheval , l'essence est gratuite.»

    Sarbinaz, la femme de Boronboy et trois de ses enfants, heureux! 

    Nous sommes heureux d’avoir fait la connaissance de Boronboy et sa famille. Il a compris, contrairement à beaucoup d'autres, que tout n’est pas si rose chez nous. Néanmoins nous n’envions pas sa situation. Sa maison est spartiate : pas de meubles hormis une petite table dans la pièce réservée aux invités, un poêle, une étagère et un petit meuble pour la télé dans la piece de vie principale ou s'entasse la petite famille durant tout l’hiver. Les besoins élémentaires tels que la santé et l'éducation ne sont pas satisfaits. Pas de médecins à moins de deux jours de marche et une école qui compte 4 niveaux différents (jusqu'à 11 ans), de piètre qualité selon les parents.  


    Chez Boronboy, ambiance magique! Pendant que la télé afghane diffuse des clips de musique, lui et sa femme découpent le mouton fraïchement tué. Les enfants s'amusent et le chat mendie sa part de viande.

    Avant le départ, je complète ma collecte de semences : du blé de la vallée de Yagnob pour les paysans boulangers d’Ardèche. En échange je lui remets quelques graines de la vallée de Wakhan obtenue quelques semaines auparavant.

    Découpage du mouton : un billot, une hâche et un couteau. Une fois la bête en morceau, la viande est conservée dans une bassine avec du sel. Le mouton est généralement cuît à l'eau et dégusté avec de l'oignon cru. 

    Nous partons en direction de la vallée du Zaravchan, située plus au Nord.

    La suite serait tout aussi longue à résumer et le temps nous manque : berger en costard avec ses brebis sur le glacier du col de Rost, les "barbes" de Sari Pul, les plateaux gargantuesques de fruits du Zaravchan, les villages suspendus du Zaravchan, l’hôtel délabré d’Aïni où Claude François aurait pu finir sa vie, les lacs et les glaciers des Monts Fans... Les photos parlent d'elles même!

    Au passage du col, rencontre avec un berger venu acheter quelques brebis de l'autre côté des montagnes.  


    C'est donc ici que vit le yéti? Non, juste un berger à bout de nerf, face à des brebis et chèvres récalcitrantes à passer le col à 4000 qui permet de rentrer à la maison...


    Chargement des foins. Les naseaux sont fendus pour augmenter la capacité respiratoire.  


    Les 4 photos ci dessus: randonnée dans les monts Fan, au Nord de Dushanbé, lacs de Kulikalon.


    "Usehaaaa!" signifie probablement "ho hisse" pour nous. De retour du Zarafchan, la voiture qui nous a pris en stop est forcée de s'arrêter. Au milieu de la route, un groupe d'hommes charge un camion de billes de bois.

     

    Nous sommes de nouveau à Dushanbé et dans deux jours, nous filons en direction de l’Iran. 

    « Rhai » comme on dit ici! 

    Fabien

     

    Anecdotes...
    Entretien avec M. le Consul Iranien à Dushanbé
     
    Nous sommes convoqués le 10 juillet par M. le Consul pour un entretien préalable à l'obtention du visa. Nous nous rendons à ce rendez vous, perplexe : mais que nous veut- il?
     
    Nous sommes accueillis dans son bureau. Il est accompagné d'un interprète, professeur d'anglais iranien à l'université de Dushanbé. On nous offre le thé en nous priant de nous mettre a l'aise. Nous sommes quelque peu tendu et le Consul s'en rend compte. "Vous êtes ici comme chez vous" nous répète-t-il plusieurs fois.
     
    Les questions s'enchainent : raisons, motivations et itinéraire de notre voyage en Iran, connaissance de la culture et de la langue, profession...
     
    A ma reponse concernant mon domaine professionnel, il me rétorque que le guide suprême a proclamé que la pollution etait majoritairement due aux USA. Je dois alors repondre à la question suivante : "Qu'en pensez vous?" La question est vague, je reponds sans ambigüité : "oui, c'est la premiere puissance économique mondiale". Aucune réaction de sa part. 
     
    A la reponse de Perrine, il est intrigué et demande si les resultats de ses recherches ont été publiés et sont visibles sur internet... 
     
    Il nous parle d'histoire et nous annonce fièrement : "nous avons plus de 2500 ans d' histoire, les USA 300 ans".
    Soit!
     
    En nous demandant si nous connaissons la musique iranienne, il lance un album sur son ordinateur. Les airs orientaux nous accompagneront tout le reste de l'entretien en même temps que les verres de thé s'enchainent.
     
    Il se met ensuite à petit dejeuner, nous expliquant que sa femme est restée en Iran et qu' il a une vie difficile pour cette raison. Il s'excuse pour sa fatigue : il a des cernes et une barbe mal rasée.
     
    C'est à notre tour pour l'analyse physique. Perrine est felicitée pour sa tenue mais on lui explique qu'elle aurait pu venir comme à l'acoutumée car nous sommes ici au Tadjikistan. Quant à moi : la barbe me va bien mais il serait temps de l'entretenir...
     
    Il dévie au sujet du voile. Il nous explique que c'est une parure qui permet de mettre en valeur la femme. "D'ailleurs, les femmes sont volontaires pour le porter". Il sort un flacon de parfum du tiroir de son bureau, le débouche et s'embale. "Le flacon de parfum, c'est comme une femme. Le parfum est l'essence même, le flacon, l'emballage qui met en valeur. Sans le flacon, le parfum n'est rien. Si l'on laisse le flacon se vider en l'ouvrant, il perd de sa valeur."
     
    L'entretien touche à sa fin peu après cette envolée lyrique.
     
    Fabien 

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