• Géorgie

     Biodynamie en Kakheti

      

    Géorgie

    Tout le monde connaît Jean-Jacques dans le village d'Arghokhi. Le chauffeur nous amène devant le portail de la maison, où nous nous étonnons d'entendre parler français. Et oui, Mika et Jérome, qui voyagent comme nous, terminent leur semaine de wwoofing dans la ferme, et deux françaises volontaires sont de passage pour organiser une AMAP. Inken est allemande, et elle reste sur la ferme pour dix mois entre son baccalauréat et ses études supérieures. Ça bouge donc à Momavlis Mitsa! Le wwoofing permet à des volontaires de travailler et de participer à la vie quotidienne dans des fermes biologiques. En échange de quelques heures de travail, on goûte à la gastronomie locale et on peut poser son sac à dos pendant plus d'une semaine!

    GéorgieLe potager, pour l'instant, des courgettes (beaucoup), salades, choux, potimarons...

    Pour vous donner un aperçu de notre ferme d'accueil, je laisse la parole à Jean-Jacques, qui mieux que quiconque peut vous décrire son projet... de vie: "Située au pied du Caucase, "Momavlis Mitsa“ (= Terre d´Avenir) est une initiative qui vise à promouvoir et à cultiver la Paix. Elle se base sur la revitalisation d´une agriculture à dimension humaine par laquelle s´accordent entre elles une vie saine du sol, des plantes, des animaux et des êtres humains, de telle façon que chaque être humain puisse s´engager dans l´épanouissement complet de sa souveraineté, de sa dignité et de ses aptitudes pour le bien-être de la Terre et de l´Humanité. Cette initiative doit contribuer à la renaissance de la culture paysanne et artisanale, incitant au renouveau d´une éthique de travail. Ainsi peuvent être assurées une alimentation saine et de haute qualité, une éducation globale et une vie auto-déterminée." 

    GéorgieJean-Jacques sort les pains du four, 100% local, y compris le bois nécessaire à la cuisson! 

    Voila l'ambiance dans laquelle nous avons été plongés pendant plus de dix jours... une approche de la biodynamie, système de production agricole inspiré par l'anthroposophie, dont les bases ont été posées par Rudolf Steiner dans une série de conférences données aux agriculteurs en 1924. Une expérience riche de sens, qui donne envie d'approfondir ce mode de production mais aussi de pensée! 

    Installé au coeur du village depuis 2010, Jean-Jacques et les nombreux volontaires de passage sur la ferme s'affairent à la production de blé et de tournesol, issus d'espèces anciennes et adaptées au territoire. Le jardin face à la maison est reconquis petit à petit (désherbage et préparation de la terre) pour du maraîchage. Les fruits abondent, surtout pendant cette période, nous avons profité pleinement des figues, pommes, poires, prunes, raisin, noix, noisettes....  

    Ce blé sert principalement à la confection de pain, le tournesol est pressé pour donner de l'huile, les fruits et légumes sont transformés (confitures, conserves...). Dès que le four à pain, en construction dans une petite pièce annexe de la maison, sera terminé, Jean-Jacques pourra retourner faire les marchés. D'habitude, ces produits, et en particulier le pain, sont vendus à la capitale située à deux heures de la ferme. La demande est forte et les pains de plus d'un kilo, dont la farine n'a pas été trafiquée (semences anciennes), permet d'assimiler le gluten beaucoup plus facilement que les pains blancs ordinaires. Pour le moment, un poêle à bois avec un petit four intégré permet de cuire le pain, et accessoirement toutes les tartes et les gratins, les compotes et confitures qu'on a pu confectionner. Je vous laisse juste imaginer le bilan carbone de ces préparations...   

    GéorgiePreparation de l'enduit à la chaux pour la construction du four à pain

    Tout ce qui n'est pas produit sur la ferme, bien que le projet à moyen terme prévoit d'avoir des poules et quelques vaches, sont trouvés... à la porte d'à côté! Les relations de voisinage sont pour autant dire indispensables. Chacun est paysan et la rue en témoigne. Du matin au soir, cochons, volailles en tout genre parcourent le village. Ils sont tous rappelés à leur habitat respectif au coucher du jour, ce qui donne un concert de caquetages, braiments, grognements, aboiements, cris....qui réunit tout le monde à la même heure.

    Ainsi, nous allons chercher du vin et du lait chez le voisin de droite, du fromage chez la mamie de gauche. Oeufs, beurre, à quelques pas de là, du matzuni à l'épicerie. Le matzuni est un yaourt fabriqué par l'épicière elle même, chez qui il faut amener des pots consignés qu'elle remplit. C'est assez aléatoire, mais quand le lait est suffisant, on se délecte de sa préparation qu'on mange à toutes les sauces.   

    GéorgieLe fromage géorgien, cuit puis pressé, il se mange frais.

    La solidarité et l'entraide sont de mise. En cherchant des pierres plates pour la construction du four à pain , un voisin (un autre...) nous invite à nous servir près de la maison qu'il retape. Une ruine nous a ainsi permis de remplir le trafic en quelques minutes de belles pierres que nous aurions mis beaucoup plus de temps à trouver dans le lit du ruisseau. Aussi, moissonneuse batteuse et tracteur sont prêtés ou loués a ceux qui en ont besoin, tout comme le moulin à farine du village. Jean-Jacques espère trouver des financement pour bénéficier de plus de matériel qui pourra être partagé dans le village.  

    La Kakhetie est connue pour son vignoble, dont nous avons bien sûr goûté la production. La région se veut une des premières au monde à avoir développé les savoir faire viticoles. Toutes les maisons ou presque sont dotées d'une petite pièce dans laquelle sont enterrées des amphores. Sorte de gros vases en terre cuite, ces récipients permettent une conservation optimale. Aussi, la forme ovale, d'après les explications "biodynamiques", permet de concentrer les bonnes vibrations de la terre et de rendre le vin encore meilleur.  

    Que du bon, du vrai, de l'authentique quoi... loin de toutes sortes de pollutions, on se sent fin prêts pour partir à la rencontre des bergers des montagnes de Touchetie...

    Perrine

     

    A Arghokhi, vaches, canards, dindes, cochons, poules, coqs, chiens... font partie intégrante de la scène villageoise. La basse-cour déambule quotidiennement dans les rues en terre battue.

    Chez Jean-Jacques, les touristes viennent de bouger plus d'une tonne de blé, afin de déloger trois souris clandestines qui ont élus domicile dans le container où est stocké la récolte de l'année. Chats en renfort et à l'affut du moindre mouvement suspect, la scène peut faire rire. Alors forcément, les canards se marrent!


    Copains comme cochons! Juste à côté de la ferme, un large enclos héberge deux cochons facétieux. Entre deux siestes, les deux compères grognent, se chamaillent, attendent notre passage aux toilettes pour nous pincer le pantalon ou tenter une fugue. 


    Le soir, toute la basse cour s'en revient à la ferme, pour se restaurer et passer la nuit en sécurité. Les dindes ne pensent qu'à glousser toute la journée alors il faut aller les chercher. Les autres animaux reviennent seuls et attendent, parfois avec impatience, que le portail s'ouvre.


    Manger comme un cochon.


    Une belle nuit s'annonce.

     

    Toucheti, quand seul subsiste le pastoralisme

     

    Après une dizaine de jours ressourçant à la ferme (c'est la première fois que l'on s'arrête aussi longtemps dans un même lieu depuis notre départ), nous prenons la route des brebis d'Arghokhi qui estivent l'été dans les alpages des hautes montagnes du Caucase, juste au dessus du village. On the road again! Direction la Toucheti, une des régions les plus reculées de Georgie. 

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    Jean-Jacques nous a mis en contact avec un chauffeur de 4*4. Quatre heures de piste parfois suspendue à la montagne sont nécessaires pour rejoindre Omalo, qui fait office de capitale de la région. Afin de réduire les frais de transport, nous souhaitons partager le véhicule avec deux autres personnes. Notre chauffeur nous appelle à 18h : nous partons dans 15 minutes! Il a trouvé un couple d'israéliens : Yariv et Hadar. Nous sympathisons rapidement et décidons de marcher ensemble pour la semaine à venir. Nous avons prévu le même itinéraire : une traversée de 5 jours d'Omalo à Shatili, à travers les alpages et villages fortifiés de Touchetie.

    Malheureusement, nous effectuons la route de nuit et c'est au petit matin que nous découvrons un paysage grandiose. D'immenses alpages, des versants couverts de forêts de pins ou de bouleaux aux couleurs flamboyantes d'automne. Les villages sont pittoresques : maisons en pierre avec balcons en bois ornés de sculptures et toits en lauze, surveillés par d'anciennes tours de défense carrées surmontées de toits pyramidales.
     

    GéorgiePremière vue sur Omalo au petit matin 

    Il faut dire que la Touchetie n'a été reliée au réseau routier que depuis 1978. Le col, situé à 2900 mètres d'altitude, n'est ouvert que de mi mai à mi octobre. Un îlot donc, protégé des grands projets d'aménagements, qui a été récemment classé parc national. 

    GéorgieLe village amont de Dartlo, presque entièrement en ruine. La partie basse est en pleine rénovation avec la réfection en moyenne d'un toit sur deux. 

    Nous rejoignons la première journée le village de Dartlo, à travers forêts et alpages parsemés de tours de défense, de minuscules villages et de ruines. De nombreuses traces de terrassements témoignent d'une époque révolue où les éleveurs bergers de la vallée cultivaient aussi la terre. Nous établissons notre campement près de la rivière. Un jeune vacher s'approche : il souhaite nous aider. Je pars avec lui chercher du bois pour la fraîche soirée qui nous attend (les jours ont maintenant considérablement raccourci). Nous aimerions discuter mais il ne parle ni anglais ni russe.

    Le lendemain, sur le chemin, nous rencontrons un vieux berger et son troupeau de mouton, parlant russe cette fois. Il est accompagné de chiens imposants et agressifs dont la mauvaise réputation pour les randonneurs n'est plus a faire. Il nous explique qu'ici, les loups et ours sont particulièrement présents : ses chiens servent à la protection du troupeau (700 têtes). Leur rapidité les rend très efficace.

    Nous apprenons que seules quelques âmes passent l'hiver dans les vallées de Touchetie. Environ une personne par village, c'est tout. Les quelques prés de fauche qui subsistent autour des villages permettent de nourrir les bêtes pendant la mauvaise saison.

    GéorgiePendant qu'on discute, les brebis descendent à toute allure, le berger file les rattraper! 

    Les villages reprennent vie en été avec l'ouverture du col qui permet aux troupeaux de transhumer. Depuis une petite dizaine d'années, le tourisme semble donner un second souffle à la Touchetie. Les "guest houses" se multiplient dans les principaux villages, tout en conservant une dimension raisonnable. On ne construit pas de nouvelles maisons mais on restaure l'ancien. Le patrimoine fait l'objet d'une attention particulière ; en témoignent les restaurations des anciennes tours de défense. 

    Nous poursuivons notre route à flanc de montagne, passons des cours d'eau, traversant des troupeaux...  à plusieurs reprise, une ombre sur le sol nous fait lever la tête et nous découvrons un vol de Gypaète barbu.

    Nous faisons étape le midi au village de Chesho. Une vieille dame nous a invité à nous reposer sur la terrasse de sa guest house. Elle nous offre la tisane et refuse bien entendu qu'on la paie. Pendant le déjeuner, je suis pris d'une quinte de toux, relique d'un épisode d'asthme contracté à la ferme (allergies obligent). Notre grand mère, qui souffrait aussi auparavant de l'asthme, s'adresse en aparté à Perrine et lui délivre son remède infaillible. "Il faut boire tous les matins un verre de son urine, pendant dix jours, puis attendre dix jours et recommencer". Elle revient vers moi quelques minutes plus tard et m'annonce qu'elle a confié un excellent traitement à ma femme, très vieux et transmis de génération en génération. La médecine moderne n'a qu'à bien se tenir! Néanmoins, tout cela est peu ragoûtant et je garde en mémoire cette recette en dernier recours. Nous la quittons avec de chaleureux remerciements et échangeons nos adresses mails (elle est sur facebook!).

    GéorgieArchitecture imposante et austère à Parsma. Les villages de Touchetie avaient mis en place tout un système de défense contre les invasions provenant du Nord. 

    Le chemin nous mène vers le village de Parsma où nous faisons connaissance avec un jeune vacher parlant russe. Après quelques minutes de conversation, il s'empresse de nous ramener pain, fromage de vache de la vallée et l'eau de vie locale appelée tchatcha, issue de raisins. Encore une fois une gentillesse hors du commun! Le goûter est agréable et la tchatcha goûtue. Notre ami vacher nous sert sans nous forcer (appréciable comparé à l'Armenie!).

    GéorgieVers Gerevie

    Le soir même, nous campons près de son village. Il nous rejoint et nous offre pommes, poivrons (des aliments de valeur dans une région où ne poussent que les patates), fromage et pain en quantité. Et pour nous réchauffer : des bûches pour le feu (de valeur aussi : autour de ce village, pas un arbre à l'horizon) et un litre de tchatcha!

    Pour lui, avec ses 17 ans, l'école est fini. C'est maintenant un homme : paysan est son métier et il a prévu de se marier dans peu de temps.

    Le lendemain matin, nous reprenons la route. En traversant le village, toujours la même gentillesse des habitants qui nous demandent d'où nous venons et nous invite parfois chez eux. Nous nous rendons au poste militaire : il nous faut nous munir d'une autorisation spéciale pour rejoindre la vallée de Shatili. En effet, nous allons longer la frontière avec la Tchétchénie russe, située derrière la crête. Les relations entre Géorgie et Russie sont au mauvais fixe et la question des régions autonomes d'Abkhazie et Ossetie du Sud n'est toujours pas résolue depuis la guerre éclaire qui a opposé les deux pays en 2008. On nous explique aussi qu'il s'agit de contrôler toute incursion de djihadiste en Tchétchénie!

    GéorgieVue depuis notre bivouac, une belle recompense apres une journée de marche 

    Le sentier remonte la vallée jusqu'au col d'Atsunta, à 3400 mètres d'altitude, point culminant de notre traversée. En chemin, nous rencontrons des bergers qui nous invitent à discuter. Les troupeaux s'apprêtent à redescendre dans les piémonts caucasiens : cinq jours de marche d'ici trois petites semaines les attendent. L'un deux accoure pour calmer son chien et nous ouvrir le chemin. Plus tard, il souhaite nous offrir de la viande de mouton fraîchement découpée et qu'il va conserver dans un abri sous terre.

    GéorgieLe berger et ses outils de travail : une paire de bottes en cuir, un sac à dois en toile, une (im)paire de jumelles, un bâton et ses deux chiens de protection.

    Au 4 ème jour, nous passons le col, dans un paysage de haute montagne magnifique : glaciers, versants minérals, pâturages et forêts aux couleurs d'automne incroyables.

    GéorgieEn redescendant du col

    Nous rejoignons le 5 ème jour, sous la pluie, le village fortifié de Shatili où nous attend un délicieux déjeuner et un parfait accueil. Avec nos amis israéliens, nous dégustons salade de tomates aux fines herbes, manti (grosse ravioli frie en forme de sac), matsuni, fromage, beignets et pâtisseries géorgiennes. Nous avons juste le temps de manger avant de reprendre la route pour Tbilissi. Par pure coincidence, nous sommes arrivés un des deux jours de la semaine où le village est relié à la capitale, en plus de quatre heures, par une marshrutka (minibus très courant dans l'ancienne URSS).


    La Turquie nous attend!

    Fabien

     

    GéorgieRecette du matsuni, le yaourt géorgien.